J’ai rêvé que je me promenais dans un très vieux château… il y avait des cercueils et, dans ces cercueils, des femmes, ni mortes ni vivantes…
Vampir Cuadecuc de Pere Portabella (1973), le plus grand film expérimental vampirique, s'est également construit à l'intérieur d'un autre film, comme le ver se nourri d’un cadavre.
En 1969, Pere Portabella, un des fondateurs dans les années 60 de l’école de Barcelone filme le tournage d’El conde Dracula une nouvelle adaptation du roman de Bram Stoker par Jess Franco. Vampir Cuadecuc, tourné en 16 mm noir et blanc, muet (si l’on excepte ses dernières minutes), apparaît avant tout comme une version expérimentale du roman de Stoker. Cuadecuc signifie en catalan la queue du ver, cette queue qui, comme le vampire, repousse toujours si on la coupe. Cuadecuc, vampir est le vampire du vampire, le parasite au cœur d’El conde Dracula.
Portabella a réalisé le projet fantasmatique des cinéastes travaillant la reprise d’images : être là au moment du geste inaugural et toucher du doigt l’origine des images. Cuadecuc, vampir
offre le cas singulier d’une copie naissant à l’instant précis de l’exécution de l’original ; comme si un « found footage » pouvait être travaillé, non en laboratoire, mais lors du tournage de son film de référence. Cuadecuc, vampir a été impressionné sur une pellicule pour bande-son qui élimine les gris intermédiaires. Avec ses noirs charbonneux et ses blancs « brûlés » qui dévorent l’image, il possède alors le pouvoir d’envoûtement de ces films des origines, presque effacés, parvenus jusqu’à nous à travers plusieurs générations de contretypes. Ses personnages semblent d'ailleurs tous un peu transi, comme ces acteurs du muet sidérés par leur naissance au visible.
La photographie cramée de Vampir Cuadecuc, telle une empreinte au pochoir, porte déjà en elle le principe de reproduction. Cette plastique se retrouve aussi bien dans les BD de Guy Peelaert (Pravda la survireuse) que dans les sérigraphies solarisées d’Andy Warhol. Comme un test de Rorschach, le film de Franco se plie sur lui-même et nous en observons les taches énigmatiques : notre histoire personnelle des vampires, écrite avec ces ombres, les traces laissées en nous par le roman de Stoker, les films de Murnau, Browning et Fisher.








Vampir, Cuadecuc de Pere Portabella passe au Jeu de Paume, dimanche 20 mars à 17 heures, présenté par Jean-Pierre Bouyxou.
Le jeu de paume