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Ethan Hunt, le jeune concurrent de James Bond, n’est
jamais plus efficace que lorsqu’il est désavoué, livré à lui-même avec son
équipe dans des sortes de « Mission buissonnières ». Les figures d’autorité
renvoyées au néant ou en tout cas très abstraites, il peut alors s’adonner en
toute liberté à son goût du jeu, des faux semblants, de la prestidigitation et redevenir
ce garnement amateur de mauvaises farces qui fait exploser des hélicoptères
avec son chewing-gum. Il faut dire, que dès le premier épisode, Hunt avait
réglé son compte à l’œdipe, liquidant la figure paternelle démoniaque (Jim
Phelps) et couchant avec sa mère de substitution. Un parcours initiatique le
laissant comme un adolescent enfin seul et libre (comme sa lointaine
incarnation dans Risky Business), libre de regrouper autour de lui des frères
et des sœurs d’adoption, en des vacances enchantées et éternelles. Même sa
femme, il faut qu’il la fasse passer pour morte et la ressuscite, pour la transformer
en image adorée, romantique mais lointaine.
Bond quant à lui n’avait jamais connu de disgrâce – éternel
« loyal sujet de sa majesté ». Sa chute est évidemment beaucoup plus
douloureuse que celles, multiples au propre et au figuré, de Hunt qui en est
devenu virtuose. Que devient Bond lorsqu’il cesse d’être un agent ? Tout
simplement rien, une sorte de cliché un peu gênant d’occidental alcoolique,
quelque part sur une plage turque, grecque ou d’Ibiza. Comme si c’était le dernier décor exotique, mais
cette fois Low Cost, de disponible pour l’agent déchu. Ce n’est pas tant l’intériorité
qui manque à Bond, qu’une forme de vie privée, de passé qui lui appartienne en propre
et non acquis pendant des missions. Tel un ange chutant du ciel, comme ceux de
Wenders, Bond doit devenir mortel pour gagner un corps et des émotions
humaines. Il n’est pas un adolescent jouisseur comme Ethan Hunt mais une
abstraction dont l’ultime mission est de faire l’expérience de l’humanité :
d’abord le rejet par M/other, et la tentative de regagner son affection ;
la découverte d’un ennemi/frère/double exubérant dont la relation avec M est
aussi un œdipe douloureux ; le retour au vieux manoir familial dévoilant
un fond gothique insoupçonné, comme une inversion diamétrale de l’exotisme à l’artificialité
assumé de l’épisode chinois. A Silva, le frère maudit, autre « homme qui
rit », la ville fantôme, à Bond la maison hantée à la Wilkie Collins. Tous
deux avoue leur fraternité spectrale.
Enfin, Bond devient un homme en passant du « permis
de tuer » à l’épreuve du deuil.