Koji Wakamatsu, à 70 ans, avait réussi l’exploit de revenir sur le devant de la scène internationale, avec des films aussi ambitieux que United Red Army, Le Soldat dieu et Mishima, le jour où il choisit son destin. Il y a une semaine, il avait reçu le prix du cinéaste asiatique de l’année au festival de Busan où il présentait ses deux derniers films, Petrel Hotel Blue et The Millenium Rapture, contes philosophiques plein de malice. Renversé par un taxi à Shinjuku il y a quelques jours, la mort l’a frappé de façon aussi absurde que les héros de la Nouvelle vague japonaise, ceux des Contes cruels de la jeunesse et de Premier amour version infernale.
Pour
moi, Wakamatsu n’avait d’abord été que les images fascinantes et terrifiantes des
Anges violés dans Le Cinéma de la transgression d’Amos Vogel. La rencontre se
fit véritablement circa 2004 . Le téléchargement connaissait alors une
sorte d’âge d’or et e-mule et Bittorent tournaient à plein régime, jour et
nuit, pour ramener des films japonais inédits, ces fameux films de la Nouvelle
vagues, les productions ATG, souvent sans sous-titres. C’est en « full
japanese » que l’on découvrait alors Shojo Gebba Gebba, Sex jack et
Shinjuku Mad… on ne comprenait pas les discours politiques et d’autres
recherches étaient alors nécessaires pour comprendre ce qui s’était réellement passé
dans les années 60 et 70 au Japon et quel fut le destin tragique de L’armée
rouge japonaise. Quelques livres, quelques articles nous aidaient mais nous
étions alors dans l’archéologie : proche de Wakamatsu, il y avait par
exemple un autre cinéaste tout aussi mystérieux, Masao Adachi, acteur et
scénariste pour Oshima, qui avait rejoint les terroristes en Palestine pour un
long exil. C’était une histoire secrète du cinéma mais aussi de ces années de
plomb, en face desquelles on prendra garde de ne pas céder à la tentation romantique.
Car il n’y a rien de romantique, de politiquement justifiable ou et d’humainement
tenable, à ouvrir le feu dans un aéroport israélien.
Même
si on ne comprenait pas la logorrhée marxiste des étudiants des films de
Wakamatsu, les images étaient là, révolutionnaires en elles-mêmes, et c’étaient
celles que j’avais besoin de voir à cette époque : de la sexualité
violente et transgressive, de l’authentique surréalisme, des fantasmes
religieux parfois ironiques, souvent d’une pureté bouleversante. Des femmes
crucifiées au pied du mont Fuji, des vierges éclatant de rire sous le soleil, des
révolutionnaires embrasant Tokyo comme un orgasme, et soudain des jaillissements
écarlates ou au contraires de calmes à-plats bleus. C'était comme de retrouver la filmographie, perdue depuis plus de 30 ans, d'un cinéaste aussi génial que Pasolini.
Wakamatsu
fut celui qui alluma la mèche. C’est d’abord à travers son cinéma que je découvrais
les chefs-d’œuvre du cinéma japonais des
années 60, les films de Susumu Hani, Matsumoto, Terayama, Oshima dont il est
souvent question sur ce blog. Wakamatsu, le yakuza révolutionnaire, le chantre
de l’insurrection lyrique n’est plus, mais, comme on a coutume de le dire :
la lutte continue !
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