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samedi 20 juin 2009

Jean-Pierre Bouyxou, le Fantômas de la cinéphilie




Le Frankenstein de Jean-Pierre Bouyxou est sorti aux éditions Premier Plan en 1969, l’année de ma naissance. Il a donc fallu 13 ans, précisément, pour qu’il atteigne la devanture d’une librairie de cinéma à Aix-en-Provence et que je m’arrête, fasciné par la couverture noire encadrant le portrait de Boris Karloff. Croyant surtout glaner quelques informations sur les films de James Whale, je découvrais bien plus encore : toute la série Hammer, des improbables « nudies », une fascinante photo de Wendy Luton (ce qui à 13 ans justifiait aussi l’achat du livre) mais aussi le passage en fraude de l’Underground avec Philippe Bordier, Jonas Mekas et le Living Theater.
Mais surtout, comme pour contredire la solennité de la couverture, quelques crises de fou rire provoquées par un langage alerte, sans rapport avec celui des autres critiques ou écrivains sur le cinéma. : « Il eut été dommage de ne pas grouper, au risque de redéranger quelque peu la chronologie, ces trois comprimés d’imbécillités, les films les plus ineptes qu’Hollywood ait jamais produit. Il est difficile de se faire une idée exacte de la laideur, du crétinisme de ces trois splendides navets. » (De I was a Teenage Frankenstein à Frankenstein’s Daughter).
Bouyxou n’apparaissait certes pas comme un maître à penser mais plutôt en pote cinéphile nous racontant ses poilades et enthousiasmes pour les pellicules super 8 de culturistes, destinées à une public « averti », les « Furakenstein » japonais et l’Underground bordelais.



Donc, au fil des années, au gré de numéros de Vampirella, de Métal Hurlant, aux génériques des films de Jean Rollin, dans des entreprises aussi étranges que la revue Fascination consacrée à l’érotisme de la Belle Epoque, se composait un très hétérogène, pour ne pas dire frankensteinien, personnage. Créature qui fut finalement croisée à la cinémathèque, après une projection de The Queen of Sheba Meets the Atom Man de Taylor Mead (dont le titre est à lui seul un résumé de la geste bouyxienne).
Finalement, c’est à la rétrospective de l’avant-garde française organisée en 2000 à la Cinémathèque que nous avons découvert les films réalisés par Jean-Pierre Bouyxou, ou du moins ceux ayant survécu (car Bouyxou n’est pas, et on peut parfois le regretter, l’archiviste de sa propre vie) : Graphity (“Nos films voulaient être aux films traditionnels ce que les graffitis de chiotte sont à la grande littérature”). et Satan bouche un coin (où joue Pierre Molinier).
Pour Bouyxou, ni dieu, ni maître et encore moins de frontières entre les catégories : fantastique, érotisme, expérimental, chef-d’œuvres ou navets. Logique pour l’un des plus actifs ambassadeurs de Pierre Molinier, l’artiste de toutes les hybridations.



Pour finir.

On peut lire sur le forum de Mad Movies les inquiétudes d’un jeune cinéphile :
« Est-ce vrai qu'un jour Les Cahiers du Cinéma ont vraiment titré "Les procédés foireux de Argento la pute" ou quelque chose comme ça? »
Nous savons bien que non, Les Cahiers du cinéma n’auraient jamais osé un tel titre, mais que cette phrase est à mettre au compte des nombreux forfaits de Jean-Pierre Bouyxou, le Fantômas de la cinéphilie.


Entretien avec Jean-Pierre Bouyxou















jeudi 2 avril 2009

Pierre Molinier s‭’‬est échappé‭ !

Satan bouche un coin‭ ‬de Jean-Pierre Bouyxou

En‭ ‬1968,‭ ‬Jérôme Fandor,‭ ‬sous le pseudonyme de Jean-Pierre Bouyxou,‭ ‬retrouva la trace de Fantômas.‭ ‬Le maître de l‭’‬effroi,‭ ‬résidant‭ ‬7‭ ‬rue des Faussets à Bordeaux,‭ ‬se faisait appeler Pierre Molinier,‭ ‬peintre et photographe,‭ ‬et menait,‭ ‬dit-on,‭ ‬une vie scandaleuse.‭ ‬Fantômas avait compris que la plus grande subversion résidait dans le travesti lui-même,‭ ‬jusqu’à faire de son corps un crime contre la morale et les‭ ‬lois de la nature.‭ ‬Qui est Pierre Molinier‭ ? ‬À la fois Fantômas et Musidora,‭ ‬une face de vieux kroumir et une jolie pépée,‭ ‬Bela Lugosi et Ed Wood Jr.,‭ ‬Docteur Jekyll et Sister Hyde,‭ ‬Hans Bellmer et la Poupée.


Le film en‭ ‬16‭ ‬mm,‭ ‬tourné par le journaliste pour prouver l‭’‬existence du criminel,‭ ‬est parvenu jusqu’à nous sous le titre énigmatique de‭ ‬Satan bouche un coin.


Tout d‭’‬abord,‭ ‬le Prince des ténèbres ouvre le bal.‭ ‬Masque de soie aux yeux effilés,‭ ‬voilette recouvrant une bouche de vampire avide,‭ ‬jambes gainées et buste corseté,‭ ‬il accueille sa turbulente progéniture‭ ‬:‭ ‬les enfants de Sade et du Coca-Cola,‭ ‬des filles ténébreuses et ensorcelantes,‭ ‬des garçons aux sourires de loups et même Justine,‭ ‬à peine sortie du couvent.


Un montage métrique à la moulinette accole l‭’‬extase du vampire et les exactions de ses disciples.‭ ‬Car,‭ ‬à cette créature faite de montage et d‭’‬impossibles sutures,‭ ‬à ce pervers ô combien polymorphe,‭ ‬il fallait un film tout aussi insolite dans sa découpe et ses agencements.‭ ‬Les coupes brèves fractionnent les gestes de Molinier en images presque fixes.‭ ‬Avez-vous déjà surpris,‭ ‬du coin de l’œil,‭ ‬le mouvement imperceptible d‭’‬une statue‭ ? ‬Tel est le territoire qu‭’‬ouvre le film,‭ ‬celui d‭’‬une confusion permanente entre les êtres vivants et les simulacres.‭ ‬Car Molinier relève moins de l‭’‬espèce humaine que du monde des mannequins,‭ ‬poupées et automates.‭ ‬Il appartient à cette zone clandestine de l‭’‬enfance,‭ ‬à ces romans noirs qui s’élaborent dans les greniers lorsque sont tirés des malles les étoffes et déguisements.


Molinier entraîne le carrousel anatomique qui mixe les matières‭ ‬:‭ ‬le sang,‭ ‬la cire,‭ ‬la peau,‭ ‬la soie,‭ ‬la gaze.‭ ‬Et tourne le manège infernal faisant circuler le désir dans chaque partie de l‭’‬automate.‭ ‬Dans cette ordonnance cadencée des plaisirs,‭ ‬ce n‭’‬est plus l‭’‬oxygène qui est insufflé pour donner la vie,‭ ‬mais l’érogène,‭ ‬cet autre gaz,‭ ‬tout aussi vital.‭ ‬Une communion est célébrée‭ ‬:‭ ‬prenez ce corps exquis et mangez-en tous.

Alors que le vampire caresse sa blonde victime aux seins nus,‭ ‬des scènes burlesques et épouvantables se succèdent,‭ ‬comme des pages arrachées au‭ ‬Chants de Maldoror‭ ‬:‭ ‬un garçon ôte son œil de verre,‭ ‬signifiant que,‭ ‬sous le règne de Molinier,‭ ‬nous sommes tous démontables‭ ; ‬une bénédiction sanglante plonge une fille nue dans l‭’‬extase‭ ; ‬un autre garçon fouette et viole un buste de pierre.‭ ‬Et comme dans tout beau roman noir,‭ ‬il faut,‭ ‬pour les garçons sauvages,‭ ‬délivrer de son donjon la sœur,‭ ‬l‭’‬aimée,‭ ‬s’échapper de l‭’‬orphelinat,‭ ‬fuir dans la nuit,‭ ‬escalader les sombres collines et trouver refuge dans les grottes.



Molinier s’évade lui aussi,‭ ‬mais par l‭’‬intérieur du corps.‭ ‬En un effeuillage absolu,‭ ‬jusqu‭’‬au néant,‭ ‬la créature se décline en écorchés de Fragonard,‭ ‬en cires anatomiques,‭ ‬en squelettes.‭ ‬Cette poupée sanglante,‭ ‬cachée sous la peau,‭ ‬c‭’‬est‭ ‬“personne‭…‬ mais cependant quelqu‭’‬un‭”‬(1‭)‬.‭ ‬Par la toute puissante modulation de son anatomie,‭ ‬Molinier s‭’‬est rendu imperceptible,‭ ‬insaisissable.


Tremblez braves gens car,‭ ‬encore une fois,‭ ‬Pierre Molinier s‭’‬est échappé‭ !

Stéphane du Mesnildot

n1.‭ ‬Souvestre et Allain,‭ ‬Fantômas,‭ ‬Le Train perdu,‭ ‬1910.


Satan bouche un coin‭
‬1967,‭ ‬16‭ ‬mm,‭ ‬couleur,‭ ‬12‭ ‬mn.‭
‬Réalisation‭ ‬:‭ ‬Jean-Pierre Bouyxou et Raphael-G.‭ ‬Marongiu.‭ ‬Interprétation‭ ‬:‭ ‬Pierre Molinier,‭ ‬Janine Delannoy,‭ ‬Étienne O‭‘‬Leary,‭
‬Noël Godin.
Paru dans Bref 69, Nov-Dec 2005