mardi 2 août 2011

Félines japonaises

Irena Dubrowna, la féline de Jacques Tourneur venait d’Europe de l’est. Ce n’est pourtant pas dans les Balkans que l’on trouve le plus de femmes chats mais au Japon. Au pays du soleil levant, il n’y a pas de vampires ni de loups-garous mais une longue tradition de femmes félines. Leur origine vient bien entendu des récits oraux. Dans ces histoires que colportaient les voyageurs autour de la porte de Rashomon, elles hantaient les marais de Kasane ou Otomo, récupérant les pouvoirs d’illusions et de séduction des femmes renards.
On les appelle kaibyo et on peut les apparenter aux fantômes bien que leur genèse soit plus baroque. A l’origine des histoires de femmes chats, il y a souvent une femme de condition modeste, opprimée par une famille aristocrate. Elle peut-être une femme convoitée et violée par un seigneur et qui se donne la mort ou bien une concubine assassinée par l’épouse légitime. La colère et le sentiment d’injustice passe dans son animal domestique, un chat qui lape le sang de sa maîtresse morte. L’animal prend forme humaine (généralement celle d’une femme d’âge mur sinon d’une vieillarde) et s’introduit dans la famille de l’assassin. Si le fantôme exerce sa vengeance avec une certaine équité, hantant le responsable de ses malheurs, la femme chat récupère en revanche la cruauté de son totem. C’est la famille entière sur laquelle  elle va exercer sa vengeance.
Cette rancune sans partage permet de la définir comme créature bien plus maléfique que pathétique. Il y a toujours dans la famille maudite une jeune fille ou un jeune garçon innocents qui luttera contre le démon. La justice (démoniaque) s’exerce mais les conteurs et cinéastes n’oublient pas in fine de renvoyer le démon dans l’au-delà.
Alors qu’Universal dans les années 30 exploitait les monstres européens classiques, loup-garous et vampires, ceux-ci ne pouvaient pas s’inscrire dans un folklore japonais. La femme chat possédait la force et l’agilité animale du loup-garou et l’action parasite du vampire. S’introduisant dans la chambre de ses maîtresses, elle boit à leur gorge pendant leur sommeil. On pourrait alors se souvenir que la Carmilla de Le Fanu avait le pouvoir de se transformer en chat noir géant et que c’est sous cette forme qu’elle plantait ses crocs dans la poitrine de Laura sa compagne. Dès 1912, les studios japonais produisirent des dizaines de films de femmes chats. La créature fut même à l’origine des premières stars du cinéma d’épouvante telle Takako Irie la vedette du Chat fantôme du palais d’Arima (1953).

Mansion of the Ghost Cat (Borei Kaibyo Yashiki, Nakagawa Nobuo 1958)

Kaibyo Turko buro de Kazuhiko Yamaguchi
ou des femmes chats prostituées officient dans des bains turcs

Si Kadokawa (la maison d’édition et de production à qui l’on doit Ring de Nakata) a édité au Japon un grand nombre de films de femmes chats des années 40 et 50, le genre reste méconnu en Occident. On pourrait cependant prendre un certain plaisir à ces films de studios à la photographie souvent remarquable et aux acrobaties étonnants des kaibyo. Le personnage n’a cependant pas échappé à l’amateur de fantastique nippon qu’est Tim Burton. Sa catwoman renvoie autant au démon japonais qu’aux DC Comics. Assassinée par un méchant seigneur (Max Schreck/Christopher Walken), elle est ranimée par une meute de chats. Elle devient alors une créature aussi violente et revancharde que ses consœurs japonaises.



Cette série sur les femmes chats est dédiée aux 90 ans de Chris Marker, qui fit voler la tête de Takako Irie dans les rêves des voyageurs du métro de Sans soleil.

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