dimanche 14 août 2011

complet brouillé


Dans Substance mort, Philip K. Dick imaginait le "complet brouillé", le masque insoupçonnable de l’agent Bob Arctor : un mélange ininterrompu d’une multitude de visages, donnant l’impression aux témoins d’avoir certes vus quelqu’un mais d’impossible à identifier et même à décrire : un parfait homme invisible. «Comment figurer le complet brouillé ?» Dick avait lancé une énigme, irrésoluble, à ses lecteurs cinéphiles.
Dans son adaptation, plutôt réussie, Richard Linklater s’en tenait au texte, faisant glisser les visages sur les traits de Bob Arctor. La distance déjà induite par l’animation permettait une transcription fidèle du texte - mais non de l’effet produit. 




C’était donc le complet brouillé mais du point de vue de Dick et Arctor et non du point de vue d’un observateur. Ce que le complet brouillé est censé travailler est la mémoire du témoin : la création d’un être dont on ne peut pas se souvenir. La solution cinématographique, bien sûr impossible à tenir, aurait été de repousser Arctor dans le champ des figurants, ces personnages, entre le personnage et le décor, qui ne sont que des formes et non des individus. Tati aurait pu alors mettre en scène le complet brouillé, puisqu’il n’a cessé d’éloigner son Hulot du personnage au figurant, d’en faire un être ne tenant que par quelques signes et non par la reconnaissance du visage. Un visage qu’on voit et qu’on ne reconnait pas c’est également celui de l’assassin aperçu dans le miroir de Profondo Rosso de Dario Argento. Là-aussi c’est la mémoire visuelle que met en scène Argento : il faudra le film entier pour que le héros parvienne à identifier le visage humain dissimulé parmi des visages peints.
Au fond, dans l’impossibilité de représenter le complet brouillé, peut-être vaut-il mieux le faire entrer dans la lignée des hommes sans visages.
Le tueur aux traits effacés de 6 femmes pour l’assassin de Mario Bava, qui est comme un mannequin de couture se vengeant sur des jeunes femmes au fond aussi peu caractérisées que lui.
Mais aussi à des précurseurs plus obscurs : le tueur qui hante les hallucinations de El hombre sin rostro, polar mexicain surréalisant de Juan Bustillo Oro (1950) ou le mannequin sans visage censé représenter l’assassin de Follow Me Quietly de Richard Fleischer (1949).

6 femmes pour l’assassin 
El hombre sin rostro
Follow Me Quietly


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