lundi 15 août 2011

Cet hôtel immense, luxueux, baroque, lugubre

Il suffit d’un film pour qu’un genre soit créé, avec ses codes et ses scénarios récurrents.
Avec Six femmes pour l’assassin (1964) Mario Bava invente le giallo, comme une forme déjà achevée, complète (si l’on cherche un brouillon - passionnant - ce serait plutôt La fille qui en savait trop ou le sketch du téléphone des Trois visages de la peur).



Mais il suffit d’une scène pour que, alors qu’il en est l’initiateur, Mario Bava retourne le genre et en fasse voir la doublure. C’est ce travelling dans l’atelier de couture désert, seulement habité par les mannequins, dont la femme rouge, cette donna scarlata qui sera l’emblème du genre (belle écorchée, incarnation chromatique, une goutte de sang ayant pris forme humaine). 
Les autres mannequins sont des figures d’osier : des modélisations de corps humain. Un monde immobile et silencieux, archétypal, auquel seule la caméra de Bava (entendre son imagination et son esthétique) amène un semblant de vie... mais surtout lorsqu’il met en scène la mort.


Ce que dévoile Bava est la gratuité fondamentale d’une œuvre qui est d’abord un morceau de bravoure esthétique. Quelques artefacts, des rideaux, un miroir, des projections de couleur... pas tout à fait le vide mais presque. Le travelling de Bava prend la suite de celui de Marienbad et de la litanie qui anime les convives immobiles ("Une fois de plus, je m'avance le long de ces couloirs, à travers ces salons, ces galeries dans cette construction d'un autre siècle, cet hôtel immense, luxueux, baroque, lugubre, où des couloirs interminables succèdent aux couloirs, silencieux...»). Bava fait passer la modernité européenne - les déconstructions du Nouveau roman, le jeu sur les canevas et les archétypes - à l’intérieur du cinéma de genre. 









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