dimanche 3 mai 2009

Silêncio de FJ Ossang




Entretien avec FJ Ossang

Primitive Kino !



Retrouver la puissance brute du son avec le punk et la musique industrielle, la force visionnaire du mot à travers Burroughs, l’énergie primitive de l’image en revenant au cinéma muet. Chaque film propulse le cinéaste et ses spectateurs vers des terres inexplorées : le Paris « feuilladien » où s’affrontent les sociétés secrètes de L’Affaire des divisions Morituri ; la terre volcanique du Trésor des îles chiennes, ultime refuge de Nosferat le roi des rats ; l’Amérique du Sud de Docteur Chance, repère d’aventuriers et de trafiquants. Ballade portugaise muette et en noir et blanc, portée par la musique hantée de Throbbing Gristle. Silêncio est un concentré absolu du cinéma d’Ossang : un « Land Movie » qui commence dans le « calme nucléaire absolu » d’un champ de mégalithe, traverse les forêts de Murnau, pour atteindre de grandes métropoles d’aciers. La nature n’est jamais morte, elle bruisse, scintille, palpite ; seul le cinéma muet nous permet d’entendre les herbes se coucher en un cri. Ossang irradie ses images, éprouve leurs limites en d’aveuglantes surexpositions. Car le film est aussi un poème dédié à deux astres, le soleil et la femme, et il se brûle à vouloir les regarder en face.

Découvrir un nouveau film d’Ossang est une belle surprise.
Silêncio est un film très libre, tourné l’été dernier, sans aide. Au départ, il s’agissait d’une commande du Festival Temps d’Images, faisant collaborer un cinéaste et quelqu’un des arts de la scène. On m’a proposé de filmer en vidéo mais ça ne m’intéressait pas. Je me suis donc embarqué pour le Portugal avec Elvire, un opérateur, une caméra 16 mm et 7 boîtes de pellicule noir et blanc. Comme le sujet du film était le silence, j’ai tourné un « silent movie », avec des intertitres et une bande son.





Pourquoi le Portugal ?
J’étais au Portugal en 86-90, du côté d’Alentijo, et il y avait des lieux que je n’avais pas filmés. Silêncio est une sorte de documentaire affectif. Nous l’avons tourné en une semaine, dans des conditions de lumière limite. On se levait à 4h du matin pour saisir le point du jour.

Finalement le film est allé plus loin que sa commande.
Le film était produit par ma propre société Oss/100 films et par Chaya films. C’était au départ une entreprise irrégulière, et pas du tout un film subventionné. Mais comme il a plu à France 2, ça m’a permis de le gonfler en 35 mm. Tout relève du miracle puisque ça s’est également très bien passé avec Throbbing Gristle pour la musique.





Comment est venue l’idée de la musique
J’avais été invité par Nicole Brenez et la Cinémathèque française pour des séances consacrées au « Cinéma des poètes ». Il y avait essentiellement des rockers, Lydia Lunch, Richard Hell et Tav Falco. Ensuite Lydia et moi étions conviés au Nouveau Casino pour faire une espèce de mix. À l’ouverture de la session, elle a commencé par Convincing People de Throbbing Gristle en version live. Moi qui revenais de Buenos Aires, complètement « jetlagé », je me prends dans la gueule la musique… extraordinaire ! Au moment du montage, ça m’est revenue comme une mémoire fantôme, une greffe. Une fois que j’ai regardé les images avec la musique, je ne pouvais plus revenir en arrière ; c’était comme si elle avait été écrite pour le film. Avec Throbbing Gristle et Genesis P. Orridge, nous sommes de toute façon des conspirateurs burroughsiens. C’est le pouvoir des sociétés secrètes !





C’est un film complètement à contre-courant des images dominantes.
On a tourné avec de la 65 ASA, sans éclairage additionnel, avec juste le soleil, le vent et la nature. Je voulais retourner au primitif, à la simplicité, à l’essence : pas de dialogue, pas de numérique, pas de virtualité. La question était de savoir où était le réel. La caméra elle-même était bricolée : on avait des objectifs récupérés sur une caméra 35, adaptée à une vieille Aaton 16, première génération, de 1972. Faire un film avec rien, comme un opérateur Lumière, m’a redonné une force extraordinaire.

Les paysages eux-mêmes ont cette force archaïque.
Il y a le champ d’éoliennes dans ce qui est un peu le Cap Canaveral portugais ou bien le champ de mégalithes qui est le plus grand de la péninsule ibérique. Le film commence par les mégalithes et fini avec le grand pont en fer et les éoliennes. Entre les deux, il y a quelques éléments du temps humain et le passage de la féminité dans ce monde de brutes : Elvire ! Tout le montage s’est fait de cette manière avec l’idée du trajet d’est en ouest, de la protection à l’ouverture.





Quel sera le sujet de votre prochain long métrage, La Succession Starkhov ?
Le vrai sujet du film sera le réel qui se dérobe. Ce sera un voyage au pays des morts, un rêve éveillé avec un arrière-plan de haute conspiration. Rien bien sûr ne se passera comme on s’y attendait, la mort se faisant toujours reconnaître par surprise ! Normalement, le film devrait être tourné entre l’Auvergne et l’Amérique du Sud.

Comment allez-vous raccorder ces deux pays ?
J’ai un rapport organique, tellurique, aux formes élémentaires. Lorsqu’on est dans une équivalence d’altitude, les paysages commencent à se raccorder. En Amérique du sud, on trouve des endroits qui ressemblent à l’arrière-pays niçois. Comme c’est un continent d’amplitude large, on peut traverser 1 000 km de pampa, 300 km de montagne.

Silêncio est donc le coup d’envoi des nouveaux films d’Ossang ?
Silêncio, que j’ai tourné comme mes premiers films, est comme une nouvelle naissance. Je suis sorti des temps difficiles qui ont suivi Docteur Chance. De plus, comme c’est un film que beaucoup de gens aiment, il agit de façon très positive pour mon long métrage. J’avais besoin de revenir à une forme de « primitive kino » pour redémarrer.

Propos recueillis par Stéphane du Mesnildot
Paru dans le Quotidien du festival de Clermont-Ferrand
31 janvier 2007

Image : Damien Rossier

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.