samedi 5 décembre 2009

Monstre numéro deux d'Antoine Barraud ; Le Mal de Benjamin Busnel



Les villes sont des villes bordées de nuit
Et peuplées d'animaux qui marchent sans bruit,
Toujours, dans votre dos, la peur vous suit.

Gérard Manset, Entrez dans le rêve



(images Monstre numéro deux)

Dans Le Mal, une jeune fille subit les agressions de plusieurs hommes, dont certains ne semblent même pas humains.
Monstre numéro deux d'Antoine Barraud revisite le mythe du vampire pour en faire un monstre quotidien, perdu dans une ville de province hivernale.


Rencontre avec Antoine Barraud et Benjamin Busnel.

La production.

Benjamin Busnel : Le Mal est né d'une frustration. J'avais passé un an sur un film qui n'a pas trouvé de financement. J'ai alors écrit Le Mal très vite en me disant: faisons avec les moyens du bord. De quels lieux je dispose, de quels comédiens, de combien d’argent ? Mon chef-op a beaucoup insisté pour que je tourne en pellicule, en 16mm. Entre le moment où j'ai eu l'idée du film et sa réalisation, il s'est écoulé 4 mois et demi. Donc je n'ai pas cherché d'argent et le film c'est fait dans l'urgence. Même s'il y a des choses parfois ratée et s'il choque certains spectateurs, sa sélection me montre que sa réalisation était justifiée.


(images Le Mal)
Antoine Barraud : J'ai une formation de scénariste et, par chance, les gens aiment ce que j'écris. Lorsque j'ai présenté le scénario de Monstre numéro deux, j'ai fait une entorse aux conventions : je l'ai écrit à la première personne. Peut-être cela a-t-il fait la différence. J'ai eu des aides du CNC ou de la région Centre. Mais je trouve le principe de financer un film sur de l'écrit parfois injuste. Sur scénario, le côté sanglant est atténué, l'histoire d'amour est davantage mise en relief.




Des films qui dérangent.

Benjamin Busnel : A un certain moment, lorsque ton personnage est chez le dentiste, j'ai compris le sujet du film et ça m'a terrifié. Il est vrai que l'on montre des choses dures et qui font réagir. On ne peut pas demander à tout le monde de partager notre univers. Il y a une inflation d'images et de narration dans la vie moderne. La politique est par exemple complètement dramatisée. Même si ma structure n'est pas si originale que ça, j'ai voulu bouleverser les habitudes des spectateurs. Le spectateur est obligé de fournir un effort pour recomposer tout ça; il se pose des questions sur l'agencement des scènes.




Antoine Barraud : Certains trouvent mon film insupportable. Ce matin, à l'expresso, une dame m'a dit: "c'est trop proche de la folie, je ne peux pas". Certaines réactions de rejet sont donc assez fortes. Paradoxalement, dans des festivals de cinéma fantastique comme Gérardmer, les fans de films d'horreur ne retrouvent pas leurs codes habituels. Eux non plus, ils n'ont pas envie d'être dérangés.

Benjamin Busnel : Rester dans la convention, même s'il s'agit de celles du film d'horreur, rassure évidemment. Ton film commence dans un cadre très réaliste : il y a un couple, un appartement... des choses très quotidiennes.

Antoine Barraud : Ce n'est évidemment pas un hasard si Monstre (2) relève du Fantastique, mais je n'ai pas l'intention de faire carrière dans un seul genre. J'aime quand les frontières sont floues. Si dans un film de Rohmer je voyais soudain une fille tuer un homme à coup de hache, je serais sans doute terrifié.




Jouer avec le réel et le fantastique.

Benjamin Busnel : Le Mal est ancré dans une certaine réalité : il y a un train, un laboratoire, un restaurant. Ce n'est pas seulement un film d'horreur sexuel mais avant tout le portrait d'une fille. Ton film est aussi un mélange d'archétypes fantastiques et de réalisme. Lorsque la fille vient voir son mari au commissariat on est dans le réalisme ; puis elle descend au sous-sol où il est enfermé et on s'enfonce dans l'obscurité et le fantastique.

Antoine Barraud : C'est aussi le sujet de ton film: au début on pense que la créature dans la malle est un monstre-gag ou un fantasme et on se rend compte ensuite que c'est une vraie personne.

Benjamin Busnel : Les monstres existent surtout dans nos têtes. Ce sont des pulsions que l'on extériorise. Le personnage féminin est plus monstrueux que le vrai monstre. Chez toi, on passe d'abord de l'autre côté avec le son lorsque ton personnage ne peut plus parler et gronde comme une bête.

Antoine Barraud : Beaucoup de gens décrochent lorsque le personnage grimpe sur le plafond et s'affirme donc comme une créature fantastique.

Benjamin Busnel : Le fait que la fille soit laborantine impose aussi un rapport avec le réel. Cela s'est imposé de façon logique. Le labo apporte une forme de preuve. On devait penser : « Oui. Elle peut faire ça dans la réalité. Elle a les moyens de créer un monstre !". Cela ajoute un côté Frankenstein.



Antoine Barraud : Dans tous les films de la série des Monstres, il y a aussi des médecins. Ce sont les médecins et les scientifiques qui définissent la frontière entre le réalisme et le fantastique. Nous travaillons, je pense, tous les deux sur cette frontière.


La direction d'acteur.

Antoine Barraud : A un moment, ton actrice se met à hurler et sa réaction est excessive. Si son cri était une simple réaction à la peur cela aurait été vraiment outré. Mais on comprend très vite qu'elle vit dans son monde et invente ses propres angoisses... le problème est que les gens ne sont plus disposés à attendre 5 plans de plus pour comprendre. Il faut accepter l'idée que tu risques de les perdre en route.

Benjamin Busnel : Oui. Je suis très content d'avoir pu mettre ça en place au niveau du jeu de l'actrice. Dans ton film, tu accordes beaucoup d'importance à la parole et aux sons, comme lorsque tu utilises juste la voix de Marc Barbé pour la scène du commissariat. J'aime beaucoup quand le héros et sa femme marchent dans la nuit, blottis l'un contre l'autre et qu'elle raconte son rêve. La parole arrive avec un grand naturel et une grande douceur.

Antoine Barraud : Cette scène est à demi-improvisée. Au départ, Nathalie, l'actrice, riait au début du dialogue. Ça ne me plaisait pas et je lui ai demandé de jouer de façon sérieuse. Mais au montage, je me suis aperçu qu'elle avait tout compris et j'ai gardé son rire. Avec elle on est dans la vie, l'humanité. Elle ne peut pas imaginer ce qui se passe avec son mari. Le personnage masculin en revanche est trop silencieux et j'en ai un peu ma claque du mutisme. Il y aura beaucoup de dialogues dans mon prochain film.


Des choix de mise en scène.

Antoine Barraud : J'ai eu l'impression d'évoluer en refusant de me couvrir, comme par exemple lors de la scène du commissariat. Même si j'ai encore beaucoup à apprendre, il me semblait que je prenais mes responsabilités de metteur en scène. Certains cinéastes mettent des caméras partout et font leur film au montage. Autant placer des caméras de surveillance. Si on n'a pas une certaine exigence et des plans spécifiques à filmer, ce n'est pas la peine de faire du cinéma.

Benjamin Busnel : Tu as raison. Comme je viens de la vidéo, j'avais tendance à multiplier les axes. Sur Le Mal j'avais peu de temps et de pellicule. Mon chef-op m'a demandé d'être précis et de bien choisir mes plans et mes scènes. J'ai été obligé de faire des choix au moment du tournage et de les assumer. C'est pour cela qu'il y a beaucoup de plans séquences.

Antoine Barraud : En tout cas, ce sont des plans dont on se souvient, comme par exemple celui de la créature qui sort de la boîte.

Entretien réalisé pendant le festival de Clermont-Ferrand 2007










Monstre numéro deux
Réalisateur : Antoine Barraud
Acteurs : Antoine Barraud, Nathalie Boutefeu, Jean-Yves Chatelais
Court-métrage
Genres : Fiction
Sous-genres : Fantastique, Étrange
Thèmes : Couple, Métamorphose
Langue de tournage : Français
Nationalité : 100% français (France)
Sortie en France :
Durée : 36mn
Production déléguée : Château-Rouge Production

Le Mal
Acteurs : Sandy Lakdar, Benoît Guillon, Samir Boitard, Thomas Breton, Benjamin Busnel
Court-métrage
Genres : Fiction
Sous-genres : Fantastique
Thèmes : Nature humaine, Érotisme
Langue de tournage : Français
Nationalité : 100% français (France)
Sortie en France :
Durée : 21mn
Production déléguée : Les Productions du Bled

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.