mardi 8 décembre 2009

Rencontre avec Koji Wakamatsu





Bien plus que de simples œuvres érotiques, vos films attaquent tous les symboles du pouvoir japonais et sont des appels sans ambiguïté la lutte armée. Le jeune homme de Sex Jack (1969) assassine le premier ministre japonais et les terroristes de L’Extase des anges (1972) prennent directement comme cible l’Assemblée nationale.

En effet, la voiture piégée se dirige vers l’Assemblée nationale ; cependant, elle explose devant le mont Fuji. Comme nous ne pouvions ni réellement faire exploser l’Assemblée nationale ni avoir des effets spéciaux sophistiqués, j’ai pensé à cet effet de montage. Pour moi le mont Fuji représente aussi l’Etat. C’était une méthodologie pour relier les images. Personne ne s’attendait à ce que le film se termine de cette façon. La société Toho a été très désagréablement surprise parce que ce n’était pas dans le scénario. Si le film impressionne encore, c’est parce que l’on perçoit toutes les convictions et l’énergie dont je brûlais à l’époque.

Cette énergie se retrouve dans la musique de jazz. Celle-ci est très présente dans tous vos films, mais elle semble traversée d’une énergie particulière lors de la séquence finale des attentats de L’Extase des anges. Les seuls effets sonores perceptibles sont ceux des explosions qui viennent s’intégrer à la musique elle-même.

L’orchestre de jazz était le groupe de Yosuke Yamashita. Ils ne jouaient qu’en concert et c’était leur première musique pour le cinéma. C’est sans doute pour cela que leur musique dégage une forte émotion. Je leur ai dit en leur montrant L’Extase des anges : « Vous allez vous bagarrer avec le film et on verra qui va gagner. » Ils se sont donnés à fond pour combattre mon film.

Les films des années 60 sont souvent tournés en noir et blanc mais contiennent quelques scènes érotiques en couleur. On retrouve le même effet dans vos films mais ces images en couleur, au lieu d’être limitées aux scènes de sexe, expriment plutôt la violence. Vous vous en servez pour faire apparaître le rouge du sang ou le feu des explosions.

A la base, ce procédé était économique : ces quelques minutes de pellicule couleur permettaient aux exploitants de salle d’annoncer un film en couleur. Après, évidemment, tout réside dans le choix du sujet de ces scènes. Chez les autres cinéastes, la couleur ne portait que sur les scènes érotiques. Ils travaillaient dans la norme et c’est pour cela que leurs films sont oubliés. Apparemment, je n’aime pas faire la même chose que les autres. Je devais peut-être avoir ce genre d’idée avant de devenir réalisateur ou lorsque j’étais petit. Il paraît que j’étais un gamin très bizarre. Par exemple, je jouais beaucoup dans les rivières et, lorsque les poissons sautaient, je leur parlais. Les voisins, qui me voyaient parler tout seul avec les poissons, pensaient que j’étais fou.





Dans Sex Jack, le jeune révolutionnaire prolétaire ne s’intègre jamais vraiment au groupe des étudiants gauchistes. Peut-être le personnage représente-t-il votre propre indépendance d’esprit.

Certains critiques m’ont dit la même chose. Dans la scène finale, le personnage revêt une veste rouge. C’était celle que je portais le jour du tournage et que j’ai demandé à Michio Akiyama d’enfiler. Ensuite, le personnage se met en route pour détruire le palais impérial. Donc, il y a sûrement quelque chose de moi dans ce personnage.

Le jeunesse semble une préoccupation constante de votre cinéma. dans Va, va deux fois vierge (1969), les deux adolescents assassinent leurs violeurs avant de se donner eux-mêmes la mort. C’est également un adolescent criminel qui est le héros de votre dernier film, Landscape of a 17 Year Old.

Il s’agit de l’histoire d’un jeune homme qui, après avoir assassiné sa mère, roule en vélo vers le nord du Japon et qui converse avec des paysages. Un peu comme moi lorsque, étant enfant, je parlais avec les poissons. Je voulais faire la même chose au cinéma, même si l’on me considère encore comme un fou. J’ai tourné sans repérages. J’ai juste filmé avec ma caméra et il n’y a eu aucune erreur de prise.





Se rapproche-t-il de la théorie élaborée par le scénariste et cinéaste Masao Adachi dans laquelle le paysage devient un élément narratif de l’oeuvre ?

Je n’ai pas grand-chose à dire sur la théorie du paysage. Adachi a tourné Aka. Serial Killer (1969) entièrement en caméra subjective ; il n’y a que des plans de paysages avec de la musique. Adachi a participé à l’écriture de mon film mais je n’ai presque pas utilisé son scénario. Je voulais qu’il y ait le moins de dialogues possibles. Lui et d’autres scénaristes ont essayé de comprendre la raison pour laquelle le jeune homme a tué sa mère, mais je pense que personne ne peut l’expliquer.

Quel regard portez-vous sur la jeunesse japonaise actuelle ?

Ca fait plus de dix ans que je n’ai pas vu une manifestation organisée par des jeunes. Ils ne pensent qu’à consommer et c’est pour cela que beaucoup de crimes d’argent sont commis par des jeunes. Ils ont complètement oublié la politique et ils ne peuvent même pas concevoir qu’ils pourraient vivre autrement. La jeunesse japonaise actuelle est descendue très bas.

Propos recueillis par Stéphane du Mesnildot
Remerciements à Shoko Takahashi

(entretien réalisé en février 2006)

Voir également :


http://lesfilmsliberentlatete.blogspot.com/2009/03/le-cinema-revolte-de-koji-wakamatsu.html

http://lesfilmsliberentlatete.blogspot.com/2009/05/koji-wakamatsu-cine-tracts-1.html

http://lesfilmsliberentlatete.blogspot.com/2009/05/koji-wakamatsu-cine-tracts-2.html


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