mercredi 28 octobre 2009

Etudes hitchcockiennes 6 : Looking for Alfred (Johan Grimonprez, 2005)


Il n'y eut jamais qu'un seul couple hitchcockien : celui qu'il formait avec son actrice.
Hitchcock est multiple, c'est le figurant, celui qui peut-être n'importe qui, entre la figure humaine et le décor.
Multiplication des pères, du plus drôle, l'asiatique, au plus bouleversant, Ron Burrage le sosie officiel, vieillissant, qui nous montre Hitchcock à la fin de sa vie, au seuil de la mort, dans cette déchéance qu'évoque Truffaut.
L'actrice, en revanche, est unique. Mais a-t-elle seulement un visage ? L'ultime idole, c'est 'Tippi', évidemment, la création la plus parfaite, la ligne pure jusqu'à la névrose. Mais au moment de Marnie, la machine hollywoodienne est cassée, la Mélanie racée et aristocrate de Birds, n'est plus qu'une poupée perdue, désarticulée à l'intérieur et à l'extérieur.
La décennie suivante n'appartiendra plus à Hitchcock mais à Andy Warhol, son fils spirituel. Drella, qui lui-aussi sait qu'il est une star et un figurant, envoie ses doubles à sa places, fardés, perruqués et chuchotant, aux inaugurations. Il sait que Hollywood n'est qu'une machine cruelle, juste bonne à multiplier les blondes et à les faire pleurer.


























Looking For Alfred
Director : Johan Grimonprez
Screenplay : Johan Grimonprez
Photography : Martin Testar
Editing : Johan Grimonprez
Eound : Dominique Pauwels
Music : Bernard Hermann
Cast : Zale Kessler, Bruce Ho, Roger Swaine, Ron Burrage, Delfine Bafort, Erik Grimonprez, José Bouchat

dimanche 25 octobre 2009

Etudes hitchcockiennes 5 : Avez-vous bien vu La Corde ?


The Truth about Rope



En 1948, Hitch tourne La Corde (Rope). Le film aurait pu devoir sa célébrité à la rencontre entre Hitchcock et James Stewart, ou encore à la première incursion du cinéaste dans la couleur. 
La Corde est surtout connu pour une prouesse technique.

Un film en un seul plan... ou pas.
Mettons-nous dans la peau d'un spectateur ne connaissant le film d'Hitchcock qu'à travers les comptes rendus de la majorité des critiques et analystes.
Précaution nécessaire pour bien cerner le mythe qui entoure le film.
Excepté le générique à l'extérieur de l'appartement, La Corde est censé être un film tourné en un seul plan, un long plan-séquence, suite ininterrompue de recadrage, de panoramiques, de travellings qui suivent les mouvements des personnages.
Entendons-nous bien : Hitchcock ne disposait pas de chargeurs suffisants pour tourner en continuité un film d'1h30.
C'est pourquoi, il a recours à un petit truc : il termine et commence ses bobines en passant en gros plan sur les vestes des personnages.
Voici comment Bill Krohn résume le procédé du film dans Hitchcock au travail (Cahiers du cinéma, 1999) :
"Le film achevé est constitué de 8 bobines de 10 minutes qui semblent d'un seul tenant grâce à la focalisation de la caméra sur un seul et même objet avant et après le changement de bobine"
Dans Le Montage de Vincent Pinel (Petite Bibliothèque des Cahiers, 2001) : 
"Hitchcock prévit, au sein de chacune des 5 bobines de projection, un raccord effectué sur le dos d'un personnage qui venait momentanément obturer l'image."
Voici une de ces coupes qui ne sont pas d'une grande élégance, il faut bien le dire.



L'analyse était presque parfaite

On ne trouverait donc pas dans La Corde la grammaire classique du champ-contrechamp, pas de plans de coupe, d'effets de montage autre que ces changements de bobines plus ou moins bien dissimulés. 
A la lecture des différents critiques et analystes, on pourrait donc considérer qu'Hitchcock a conçu La Corde comme une continuité, un long plan-séquence, et que seule la carrence technique l'obligeait à recourir à ces raccords qu'il souhaitait le plus invisibles possibles. 
Disposant des moyens actuels, tournage ou post-production numériques, on peut imaginer une continuité absolument ininterrompue.
En 1967, Jean Douchet dans son Hitchcock (Petite bibliothèque des Cahiers, 2006) analyse avec lyrisme ce long mouvement de caméra : "tourné en un seul plan continu, comme si rien, pas même la césure du tout montage ne pouvait arrêter cette lente descente de l'Ombre, cette sure montée de la puissance maléfique."
Pour Raymond Bellour, dans L'Analyse du film (Editions Albatros, 1989), le début de Psycho répète celui de La Corde "dont le plan unique et interminable se focalise à son début, passée une même fenêtre-écran, sur la rage froide du meurtre."
Pour gagner du temps, jetons un dernier coup d'oeil à L'Esthétique du film (Nathan Cinéma, 1999), écrit par Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie et Marc vernet :
"Il est rare que la durée du récit concorde exactement avec celle de l'histoire comme c'est la cas dans La Corde film "tourné en un seul plan"."
Que la durée du récit concorde avec celle de l'histoire, c'est un fait, Hitch préservant les unités de temps et de lieu de la pièce d'origine. Nos 4 mousquetaires de l'esthétique du film mettent les guillemets d'usage à "tourné en un seul plan", histoire de dire : "en fait non, parce qu'il y a les fameux raccords-vestes, mais dans l'idée, oui, c'est en un seul plan".
Une fois passé le rideau, nous serions donc embarqués dans ce mythique plan-séquence.
Film d'un seul tenant...continuité... plan unique et interminable... telle est l'opinion admise sur La Corde
Une opinion ressassée, on l'a vue, imprimée partout jusque dans les manuels d'analyse de l'université mais ABSOLUMENT FAUSSE.


Les 4 coupes franches


Ce n'est pas du tout ce que nous montre le film, ni à sa vision au cinéma et encore moins en DVD.
La corde comporte pas moins de 4 coupes franches qui brisent la continuité et sectionnent ce long ruban qu'est censé être La Corde. Elles ne s'effectuent ni sur les vestes, ni sur les objets, ce sont de banals changement de plan, ne cherchant même pas à se dissimuler.
Ces coupes sont surprenantes dans la mesure où Hitch met en place une chorégraphie virtuose, et se tire de problèmes plus compliqués que l'entrée en scène d'un personnage comme celui de la fiancée ou l'irruption de la bonne dans le champ. 


Faisons les comptes 

Il y a bien 5 coupes "dissimulés", 4 raccordant sur des vestes et la dernière sur le coffre/cercueil qu'ouvre James Stewart, mais entre ces 5 coupes s'intercalent exactement 4 coupes "franches" supplémentaires répondant à un découpage classique. 
Nous désignerons par la lettre (a) la coupe "dissimulée" et par la lettre (b) la coupe "franche". On obtient la partition suivante (minutageDVD Universal).
11.43 (a) / 19.07 (b1) / 26.09 (a) / 32.58 (b2) / 42.32 (a) / 49.49 (b3) / 57.18 (a) / 01.07 (b4) / 01.11.28 (a) 

Voici les raccords qui nous intéressent, les coupes (b)

(b1)

(b2)

(b3)

(b4)



Les mêmes coupes en images animées.


Rope 1
envoyé par sadakobanana2. -



Rope raccord 2
envoyé par sadakobanana2. -



rope raccord 3
envoyé par sadakobanana2. -




On remarque que, curieusement, les coupes (b) ne sont pas disposées de façon anarchique mais interviennent à peu-près 6mn avant et après la coupe (a). On peut donc supposer qu'il s'agit de la durée d'un chargeur. La Corde est donc bien composé de 5 plans-séquences, mais distincts, séparés par des coupes franches ; chacun de ces 5 plans séquences d'une douzaine de minutes étant raccordé en son milieu par une coupe invisible. 
Cela change radicalement l'appréhension du film, qui devient, dès sa conception, un film découpé et non plus "d'un seul tenant", en "continuité" et surtout pas un "plan unique et interminable". 
On peut donc dire que La Corde n’est pas un film qui voudrait donner l’impression d’un unique plan-séquence, mais un film composé de 5 plans-séquences distincts, raccordés en leur milieu par une coupe plus ou moins invisible.

Ce qui trouble, outre la découverte de ses coupes, est le pouvoir de suggestion d'Hitchcock, l’hypnose que provoque la parole du Maître et aussi, avouons-le, que certains films sont analysés et commentés sans avoir été vraiment revus. 
Entendons-nous bien, il s'agit de La Corde d'Hitchcock, pas d'un film oublié, vu une seule fois en 1962 à la Cinémathèque de Pyongyang.

M pour Mystification


A l'origine de la légende de La Corde, les propos que tenait Hitchcock à Truffaut :
"La pièce se jouait dans le même temps que l'action, c'était continu, du lever de rideau jusqu'au rideau baissé, et je me suis demandé : comment est-ce que je peux filmer cela dans une démarche similaire ? La réponse, c'était évidemment que la technique du film serait également continue et que l'on ne ferait aucune interruption à l'intérieur d'une histoire qui commence à 19h30 et se termine à 21h15. Alors, j’ai eu une idée un peu folle de ne tourner un film qui ne constituerait qu'un seul plan."

Et plus loin Truffaut de surenchérir : " c'est la réalisation d'un rêve que tout metteur en scène doit caresser à un certain moment de sa vie, c'est le rêve de vouloir lier les choses afin de n'obtenir qu'un seul mouvement."

Mais ce n'est qu'un rêve, Alfred.


Stéphane du Mesnildot

samedi 17 octobre 2009

Etudes hitchcockiennes 3 : Mr. & Mrs. Smith/Psycho


Etudes hitchcokiennes 2 : Psychose - L'Ombre de la mère

Corps‭ ‬de remplacement,‭ ‬assumant la continuité de sa soeur assassinée‭ (‬dans le roman,‭ ‬Sam‭ ‬l'embrassera en la prenant pour Marion‭)‬,‭ ‬Lila est prédisposée à être investie par l'ombre maléfique de la Mère.‭ Hitch va pratiquer une opération cinématographique sur le corps de Lila pour en faire, l'espace d'un plan, ‬le site de la réunion des figures de Norman et de Mother.‭






Après le meurtre d'Arbogast,‭ ‬Norman se tient au bord de l’étang où il regarde s'enfoncer la voiture du détective.‭ ‬Un travelling s‭’‬achève sur‭ ‬son visage,‭ ‬violemment découpé par l'ombre, qui se superpose à la quincaillerie de Sam.‭ ‬Dans l'arrière boutique,‭ ‬second cadre au fond de l'image,‭ ‬Lila est assise à une table.‭ ‬Entendant Sam rentrer,‭ ‬elle se lève,‭ ‬traverse la boutique,‭ ‬et,‭ ‬silhouette en contrejour,‭ ‬se place au premier plan.‭





Ce seul plan, peu déterminant ni spectaculaire en soi, rassemble sur‭ ‬Lila les deux apparences de Norman conduisant au meurtre de Marion.‭
Norman après avoir observé Marion se déshabiller dans la salle de bain,‭ retourne dans la maison et ‬s‭’‬assied dans une pièce, sous l'escalier menant à la chambre de la mère.
C'est cette première position que Lila, assise dans l'arrière boutique reproduit,‭ ‬profondeur de champ comprise.



Puis passant dans l'obscurité, Lila prend l'apparence de la Mère, ombre noire‭ ‬tirant le rideau de douche.‭

La métamorphose de Norman en Mother était contenue dans‭ ‬une ellipse qui faisait croire à l'existence de deux personnage. Elle est ici exposée en continuité,‭ ‬sur le corps de Lila.‭