vendredi 2 octobre 2009

Jean Rollin : les vampires, les souvenirs et les ruines


Le jour où de belles femmes étranges sortiront à nouveau des horloges des châteaux, ce jour-là nous retrouverons goût à la vie.
Jean Rollin, La Statue de chair (1998)


Après plusieurs courts métrages (Les Amours jaunes, Ciel de cuivre, Les Pays loins) et une collaboration avortée avec Marguerite Duras (L'Itinéraire marin qui comptait Gaston Modot dans sa distribution), Jean Rollin réalise en 1968 son premier long métrage fantastique. Le Viol du vampire contient les motifs des œuvres à venir : des filles séquestrées, folles élevées dans la superstition ou mortes vivantes aux souvenirs érodées par les siècles, une fiancée séduite par les vampires, un final sur la plage de Dieppe. Un univers complet que Rollin, avec une constance dont on trouve peu d'équivalent, explorera jusqu'à nos jours. À partir du Viol..., Rollin tourne une trilogie baroque : La Vampire nue interprété par Maurice Lemaître (1969), le psychédélique Frisson des vampires (1970) et Requiem pour un vampire (1971).

Outre des créatures malicieuses et humoristiques, l'œuvre de Rollin est dominée par la figure d'une femme sadienne, pourvoyeuse de mort, mais toujours soumise aux pulsions ou manipulée par des forces occultes. Dans Le Frisson... et Requiem..., la vampire, pâle, arachnéenne et affamée, idéalement incarnée par Dominique, est radicalement opposée aux canons alors en vigueur de la Hammer. L'univers fantastique chez Rollin est toujours aux rivages de la folie avec pour thèmes obsessionnels l'aliénation, le retrait du monde et la mémoire brisée.



La Nuit des traquées (1980), montre des créatures amnésiques et livides, errant dans des couloirs nus. Loin des univers enchantés du Frisson..., Rollin opère un raccourci saisissant entre l'urbanisme glacé des années 70, les abattoirs et les trains de la mort. Les films de Rollin sont parcourus de longues marches somnambuliques dans ces mondes intermédiaires que sont les châteaux en ruine, cimetières, gares de triage, espaces aberrants possédant leur propre logique. Dans La Rose de fer (1972), le cimetière referme ses pétales froids et noirs sur les amoureux, et les emprisonne dans la mort et la nuit. La plage de Dieppe (présente dès Les Amours jaunes) est la conclusion obligatoire de la plupart des films de Rollin. Si l'on peut voir dans la plage, que la marée renvoie sans cesse à la virginité, l'espace mental des personnages aux souvenirs effacés, elle est aussi une matrice poétique : elle emporte le cercueil des amants vampire (Lèvres de sang), devient la nourricière cruelle des naufrageurs (Les Démoniaques) et conduit à d'autres dimensions (La Vampire nue).

Le vampire est inséparable du territoire qu'il appelle à parcourir. Comme Nadja ou Les Filles du feu de Nerval, les vampires invitent à l'errance amoureuse et permettent de se dégager du monde. Lèvres de sang (1974), dont les associations lancinantes (le paysage... mes souvenirs... les ruines...) évoquent souvent Duras, est un voyage dans la mémoire, à la recherche de la vampire, la sœur...



Après Les Trottoirs de Bangkok (1983), l'œuvre de Rollin se fait plus sporadique (scènes additionnelles pour Emmanuelle 6, projet sans suite sur Harry Dickson, le peu satisfaisant Killing Car), mais contient cependant des perles (Perdues dans New York). Cette absence cinématographique n'est pas pour autant une éclipse créatrice. Très présent dans la littérature, Jean Rollin dirige des collections (au Fleuve Noir, Florent Massot, Les Belles Lettres), faisant découvrir de jeunes auteurs, des classiques oubliés et publiant ses propres livres (La Petite ogresse, Enfer privé ou La Statue de chair).

Les Deux Orphelines vampires (1995) et La Fiancée de Dracula (2000) marquent un retour à l'univers enchanté de ses premières œuvres. La fiancée de Dracula est une jeune femme amnésique, séquestrée par une secte, des nonnes délirantes qui veulent la sacrifier au Prince des Ténèbres. La célèbre phrase de Gaston Leroux (Le presbytère n'a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat) qui concluait Le Viol..., tient lieu de formule magique. Aux images baroques à la force évocatrice intacte (une vampire exposé au soleil sur un radeau, hurlant de douleur), Rollin apporte une nouvelle mythologie développée dans ses ouvrages : goules, vampires et ogres, appartiennent aux Parallèles, peuple des ténèbres vivant en marge de notre monde.



Les deux orphelines vampires, quant à elles, sont les héroïnes d'un serial publié au Fleuve Noir. Aveugles le jour, les orphelines voient la nuit en bleu monochrome. Belles comme des images et parlant comme un livre, elles sont des figures candides, s'imaginant les réincarnations de cruelles déesses aztèques. Comme la femme vampire du Frisson... surgissant d'une horloge, les deux orphelines viennent de l'intérieur du temps, du plus profond de l'enfance. Elles sont nées de chuchotements dans l'obscurité d'un pensionnat, de romans populaires exaltés, de cruels récits de voyages exotiques. Elles sont la dernière incarnation de ces jeunes filles qui dansent dans les cimetières, se tiennent par la main, rient et gambadent parmi les tombes.
Aveugles au réel, les yeux des orphelines vampires sont ouverts sur la beauté et l'imagination.



Stéphane du Mesnildot

Hommage à Jean Rollin, le vendredi 23 mars 2001 à la Cinémathèque française











Images :
Les Démoniaques
La Nuit des traquées

La vampire nue

Requiem pour un vampire

Dépliant de la séance Maurice Lemaître/Jean Rollin à la Cinémathèque française
12 décembre 1999

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