lundi 27 juillet 2009

"Dans les griffes de la Hammer" de Nicolas Stanzick





Une passion cinéphile


Le livre de Nicolas Stanzick fait revivre une époque où, à quelques kilomètres de Londres, était produit le meilleur du cinéma fantastique mondial. Les monstres mythiques, sous les traits de Peter Cushing et Christopher Lee, n'avaient qu'à franchir la Manche pour envahir une France encore très conservatrice.


L'ambition de Dans les griffes de la Hammer est double : relater l'histoire du studio mythique mais aussi celle de la cinéphilie fantastique qui nait en cette fin des années cinquante.
L'auteur date la naissance de la cinéphilie fantastique française avec la distribution en France des premiers films de la Hammer. Les classiques de la Universal avant guerre ne suscitèrent par exemple aucun écho particulier chez les cinéphiles. Interdits de distribution pendant l'Occupation, les séries Frankenstein et Dracula restèrent longtemps inédites en France. Leur seule trace résidait dans les souvenirs de spectateurs de l'époque tels ceux du fantasque Jean Boullet, un des premiers spécialistes français du genre. James Whale et Tod Browning étaient alors majoritairement absents des histoires du cinéma, dont celle, très respectée, de George Sadoul. Seul Ado Kyrou, dans Le Surréalisme au cinéma dresse un portrait affectueux des monstres, dont il fait des symboles de L'Amour fou. Mais pour Kyrou, le Fantastique est d'abord un élément du Surréalisme, mouvement respecté mais déjà ancien pour les jeunes cinéphiles qui reçurent de plein fouet le choc des Hammer Films.


Les enfants de la nuit
  




Si Frankenstein s'est échappé fit office de détonateur en 1957, c'est Le Cauchemar de Dracula en 1959 qui signe l'explosion d'un auteur, Terence Fisher et d'une maison de production, la Hammer. Les deux films révèlèrent également deux acteurs charismatiques appelés à devenir le couple le plus célèbre du cinéma fantastique : Peter Cushing et Christopher Lee. Si Cushing fascine encore par la richesse de son jeu, capable de passer en un instant d'une retenue toute britannique à une violence excessive, Lee révolutionna la figure du vampire, lui apportant un érotisme sauvage inédit.
Les jeunes cinéphiles, pour la plupart mineurs à une époque où la majorité était fixée à 21 ans, fondèrent alors en 1962 la revue Midi-Minuit Fantastique comme ils auraient pu, quelques années plus tard, monter un groupe de rock.
L'analogie entre le Fantastique et la Pop anglaise est d'ailleurs évoquée à maintes reprises dans le livre de Nicolas Stanzick : la Hammer anticipa le vent de libération que les Beatles et les Rolling Stones allaient bientôt incarner. Les rédacteurs Michel Caen, Alain Le Bris, Jean-Claude Romer et le "précurseur" Jean Boullet, nommèrent la revue en hommage à une célèbre salle parisienne, le Midi-Minuit spécialisée dans le Fantastique mais aussi l'érotisme. Symbole du mouvement naissant, Terence Fisher, se voit consacrer le dossier de ce premier numéro et une très agressive couverture tirée de La Nuit du loup-garou (1961). La cinéphilie fantastique, portant alors le nom de "midi-minuisme", était née. Le "midi-minuiste" se définit alors comme un dandy élevant au rang d'oeuvre d'art des objets honnis. Même si leur influence fut moindre, les amoureux du cinéma fantastique rejoignent le geste d'un Truffaut défendant le statut d'auteur d'Alfred Hitchcock.



De Dracula à Mai 68




Si la Hammer et Terence Fisher sont désormais reconnus comme des acteurs importants de l'histoire du 7e art, le "midi-minuisme" demeure un mouvement mal connus. La cinéphilie fantastique aurait-elle encore "mauvais genre" ? Et que dire de ses lieux de prédilections, ces salles de quartiers longtemps considérés comme des coupe-gorges ou des repères de dépravés?
Ainsi, lorsqu'Antoine de Baecque en 2005 consacre un ouvrage historique à la cinéphilie française, c'est encore la rivalité entre les Cahiers du Cinéma et Positif qui est largement évoquée, au détriment de courants plus avant-gardistes tels le "midi-minuisme".
Pourtant, comme le note justement Nicolas Stanzick, les différentes familles de la cinéphilie française des années 60 obéissaient à une dynamique équivalente. Alors que les "jeunes turcs" des Cahiers tenaient leur quartier général à la CF et les journalistes de Positif au Mac-Mahon, les "midi-mnuistes" hantaient la salle du même nom et les "temples" du Fantastique, tels le Colorado ou le Brady. Dans les griffes de la Hammer dresse une cartographie allant des Grands Boulevards à Pigalle, passant par le Quartier latin et s'aventurant même Avenue de la Grande Armée. Ces salles des quartiers populaires ou étudiants s'opposaient aux Champs-Elysées où s'affichait le cinéma traditionnel. De là à dire que le fantastique a anticipé la révolte contre l'ordre établi qui explosera en 68, il n'y a qu'un pas que l'auteur n'hésite pas à franchir. Les couleurs flamboyantes de la Hammer, ces grandes "messes rouges" du sang et de l'érotisme, tranchaient assurément avec la grisaille de la France gaulliste.
De multiples témoignages des premiers spectateurs des films de la Hammer nous font ressentir la véritable révolution qu'a pu représenter un tel cinéma. Si la violence cinématographique se mesure aujourd'hui à l'aune de classiques tels que La Horde sauvage de Peckinpah ou Orange mécanique de Kubrick, le spectateur de 1957 ne disposait d'aucun repaire. Rien ne pouvait préparer aux interventions chirurgicales de Frankenstein ni à l'érotisme trouble de Dracula. Pour la première fois également le sang, en tant qu'élément horrifique, apparaissait en couleur. Ce qui fut alors jugé par les critiques français ne fut pas l'indéniable beauté de la production, ni le talent de Terence Fisher mais bien le Fantastique et l'horreur comme genres scandaleux. Quels furent les motifs d'une aussi virulente résistance française au genre, s'interroge Nicolas Stanzick ?


Une bataille d'Hernani




La très riche documentation critique rassemblée par l'auteur permet de comprendre quel fut le climat hostile qui acceuillit les films de la Hammer. Les productions anglaises suscitèrent une incroyable levée de boucliers autant chez la critique de droite que de gauche. La très influente Centrale, classant les films autorisés pour les catholiques, voyait dans la Hammer le creuset de toutes les perversions. Même la victoire du Bien, obtenue par des moyens violents parfois dignes de l'inquisition, ne pouvait excuser la séduction dont le mal était paré. L'un des héraults de cette croisade contre les films Hammer fut le magazine Radio-Cinéma-Télévision, qui deviendra plus tard Télérama. Cet organe de la gauche catholique conservera longtemps son mépris envers le genre jusqu'à devenir la bête noire de plusieurs générations de cinéphiles. Quant à la critique de gauche, tendance PCF, elle était soit condescendante, considérant les films comme des enfantillages, soit hostile jugeant que le Fantastique détournait les spectateur des horreurs réelles du Monde.
Bien que, dans le sillage de la Hammer, le film d'horreur se développa en Italie et en Espagne, seule la France resta imperméable au genre. Sorti en 1960, Les Yeux sans visage de Franju aurait du poser en toute logique le premier jalon de la production française mais l'expérience resta sans suite. Le succès des productions Hammer aurait pourtant été l'occasion rêvée pour les cinéastes français d'explorer leur propre patrimoine fantastique. Un exemple parmi d'autres : un livre aussi célèbre que Le Fantôme de l'opéra de Gaston Leroux, dont on connait les versions de Rupert Julian, Arthur Lubin, Terence Fisher et récemment Dario Argento, ne bénéficie d'aucune adaptation dans son pays d'origine.
Le livre tente d'apporter quelques réponses, en particulier celle d'une tradition cartésienne française peu apte à se laisser aller au fantastique et à légitimer des productions faisant appel aux sentiments "irrationnels" de la terreur et du désir.


Le crépuscule des monstres




Aujourd'hui, il apparaît inconcevable que les films de Terence Fisher aient été à ce point minorés par une critique qui n'hésitait pas à saluer les petits maîtres du western comme Budd Boetticher. Il faudra attendre bien des années pour que s'opère, après 1968, un revirement critique et que, jusque dans les pages des Cahiers du Cinéma et de Positif, les beauté de l'oeuvre de Terence Fisher, sa cohérence et son intelligence soient reconnues comme telles. Pourtant, à l'instant même où le sigle Hammer devenait un gage de qualité, la firme était déjà sur le déclin. Une nouvelle génération de cinéphiles fantastiques ne tarda pas à émerger au cours des années 70 avec comme nouveaux héros John Carpenter, David Cronenberg ou encore Dario Argento. Pour la "vénérable maison" vint le temps des rétrospectives au Festival du film fantastique de Paris, puis, récemment, son entrée au musée grâce à la rétrospective que consacra la Cinémathèque française à Terence Fisher.
De l'apogée de la Hammer à sa chute, l'auteur dresse le portrait de deux générations d'amoureux du fantastique qui rencontrèrent à travers les films de Terence Fisher, John Gilling ou Roy Ward Baker un certain idéal cinématographique. C'est avant tout l'histoire d'une passion que relate Nicolas Stanzick.


Stéphane du Mesnildot





NB: La lecture de Dans les griffes de la Hammer pourra être complétée par la biographie du fascinant Jean Boullet par Denis Cholet (ed. Feel, 1999) et au long dossier consacré à Jean-Pierre Bouyxou, autre défricheur du cinéma-bis, dans le numéro 77-78 de la revue Lunatique (ed. Eons, 2008).


Dans les griffes de la Hammer
, Nicolas Stanzick, ed.Scali, 464 pages, 29€.

Christopher Lee dans Frankenstenstein s'est échappé (The Curse of Frankenstein, Terence Fisher, 1957)
Christopher Lee dans Dracula, Prince des ténèbres (Dracula, Prince of Darkness, Terence Fisher, 1966)
Peter Cushing dans Les Sévices de Dracula (Twins of Evil, John Hough, 1971)
Affiche de La Fille de Jack l'éventreur (Hands of the Ripper, Peter Sasdy, 1971)
Madeline et Mary Collinson dans Les Sévices de Dracula (Twins of Evil, John Hough, 1971)


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