vendredi 28 janvier 2011

Charles Burns à Paris



Aujourd’hui, visite à la Galerie Martel où sont exposés les planches et les dessins de Charles Burns (finalement, il se passe aussi des choses en dehors de Tokyo).
Comme pour Toshio Saeki, auquel il ressemble beaucoup par certains aspects, c’est un plaisir rare de se plonger dans la matière réelle de ses planches. Ne serait-ce que voir la profondeur de l’encre de chine est émouvant. Mais dépêchez-vous, l’exposition touche à sa fin : la clôture est le vendredi 5 février.
 J’ai dû rencontrer les dessins de Charles Burns pour la première fois dans Métal Hurlant. Une magnifique couverture rendant hommage à l’underground et la SF et se raccordant à une biographie de Philip K. Dick par Crumb.


 Métal avait commencé à publier les aventures d’El Borbah, le catcheur masqué qui combattait des bébés à têtes de gagnsters (ça me rappelait un peu le bizarre Agagax, le bébé gangster toujours mal rasé, et adversaire de Supermatou dans Pif. Poirier, un des vrais génies de l’underground français... mais passons). Automatiquement les dessins m’avaient accrochés: aussi personnels que ceux de Crumb mais puisant à une culture plus proche de moi : le rock, les films d’horreur, les débuts de la culture de la série Z... Lorsqu’un peu plus tard je découvrais Les Cramps, il était clair qu'il s'agissait du même univers.



Cependant, le meilleur était à venir : Black Hole. L’élément parodique et un peu kitsch d’El Borbah était évacué au profit de personnages et d’une écriture avant tout intimes.
A peu de chose près, l’adolescent de Black Hole est le même que celui de ToXic. Il vit sa jeunesse comme un rêve lymphatique. On a parlé de Lynch à propos de Charles Burns et c’est tout à fait exact : ses héros sont les frères du Jeffrey de Blue Velvet, et vivent comme lui un passage désenchanté à l’âge adulte. J’adore par exemple le moment de la disparition de Chris. Au moment où Keith est obsédé par elle («je m’étais monté la tête en imaginant qu’on allait être ensemble. Le gros fantasme romantique»), elle s’évapore («Elle est venue aux cours lundi et mardi. Elle n’est pas venue mercredi et jeudi. Elle n’est pas venue aujourd’hui. Elle a disparu.» Tout ça en une simple séquence de cases verticales. Elles vont du fantasme de Keith à la vision étrangement émouvante de la fille quittant la salle de cours.cela rappelle l'évaporation de Laura Palmer dans la salle de cours de Twin Peaks.



Si Burns possède cet art d’aller chercher au tréfond de nos émotions adolescente, c’est grâce à un art qui emprunte aux inquiétantes pochettes de disques psychédéliques (enchevêtrements de serpents, de marécages, de filles aquatiques) et à la gravure sur bois. Un vrai art des ténèbres. Si les filles ne s’engouffrent pas dans des forêts obscures, avec des petits amis mutants, si elles n’ont pas elles-mêmes subies des modifications génétiques, elles sont de toute façon déjà plus loin que les garçons. Même graphiquement, elles ont une sorte de massivité, alors que les garçons, en vêtements anonymes, demeurent plus imprécis.


J’ai retrouvé dans ToXic cette voix intérieure qui était celle de mon adolescence. J’ai retrouvé cette léthargie bizarre, ces abattements et ces sensations de solitudes. Des goûts aussi de cette époque puisque c’est vers 15 ou 16 ans que j’ai découvert William Burroughs et les terrifiantes créatures sexuelles de l’Interzone.




A la Galerie Martel, j’ai acheté une petite merveille éditée par Le Dernier Cri : une édition pirate de ToXic, conçue par Burns lui-même. En format légèrement à l’italienne, recadré, les bulles emplies d’idéogrammes imaginaires, il l’a conçu comme les éditions pirates de Tintin dans les pays asiatiques. Comme disait Joe Staline dans Métal Hurlant : vous seriez bien bête de ne pas acquérir ce fascicule, indispensable à l’homme moderne et de bon goût.





Galerie Martel 



17 rue Martel, 75010, Paris
Sur le site, on peut regarder les planches originales en vente.
http://www.galeriemartel.com/

Les éditions Le dernier cri
http://www.lederniercri.org/


jeudi 27 janvier 2011

lundi 17 janvier 2011

Aimez-vous les filles de Shibuya ?

En inspectant le disque dur de mon voyage à Tokyo, j'ai retrouvé ces fichiers vidéos, tournés à la gare de Shibuya, en face de la statue du petit chien Hachiko. Ils rendent bien l'atmosphère colorée des après-midi ensoleillés de Tokyo. Ils font aussi comprendre pourquoi tout semble triste et gris lorsque l'on rentre à Paris.


dimanche 16 janvier 2011

Insolation à Shinjuku













Un après-midi d’août, il y a deux ans, je l’ai vue marcher dans la rue, non loin de la nouvelle entrée sud de la gare de Shinjuku. Trente ans, les cheveux tirés en arrière, un tailleur saumon (c’est la couleur qui me vient à l’esprit mais peut-être était-il orange ou rose pale). Elle était une de ces salary-girls qui quittent les bureaux et se pressent vers le métro et les galeries marchandes. Mais elle ne courait pas. Il y avait quelque chose de flou dans sa démarche et son visage.
Lentement elle a porté les mains à son front comme pour se protéger du soleil et elle a fait quelques pas.
Et elle s'est écroulée sur le trottoir.

samedi 15 janvier 2011

Petite fille, dans ton voyage au pays des merveilles, quelle est cette ombre qui te suit ?

Hajime Sawatari

Alison Scarpulla

Jaromil Jires (Valérie au pays des merveilles)

Dédicace spéciale à Olivier Rossignot et Gabriela Monelle.

mercredi 12 janvier 2011

Teenage angst

Beau portrait d'adolescentes dans The Ring (2002) de Gore Verbinski. Elles viennent veiller leur amie morte, tombée sous la malédiction de Samara.

mardi 11 janvier 2011

Jeunes filles en uniforme (Madchen in Uniform). Allemagne, Italie, Japon.



Certains films et cinéastes créent des archétypes qui circulent à l'intérieur d'autres films, entre différents pays, épousent des mutations inédites et reviennent transformés, presque méconnaissables, à leur point d’origine.

Un exemple :
Jeunes filles en uniforme (Madchen in Uniform, 1931) de Leontine Sagan.

La piste italienne
Lorsque je l'ai vu pour la première fois, vers 1992, j'ai évidemment pensé à Dario Argento et à deux films : Suspiria et Phenomena.


Le film se déroule dans un pensionnat pour jeunes filles, est rempli de confessions chuchotées et la directrice, vêtue de noire et portant un médaillon, ressemble aux sorcières de la tanz-academie. Je me suis aussi rappelé une interview d'Argento à l'époque de Phenomena où il disait s'être inspiré du cinéma allemand des années 30, post-expressionniste, pour les blancs très lumineux (la robe blanche de Jennifer). Dans Jeunes filles en uniforme, il reste des touches expressionnistes (la ronde nocturne du professeur, tel un vampire, dans le dortoir) mais c'est le blanc qui domine : les draps, les chemises de nuit blanches, la pâleur de la peau, les cheveux blonds, etc. Les jeunes pensionnaires de Phenomena, la séduisante mais glaciale directrice, la surveillante-infirmière au visage masculin sont des reprises directes de ces figures des années 30.


Jeunes filles en uniforme n'est pas un film fantastique mais contient tout de même un élément insolite qui le rattache au romantisme noir : pour son entrée au pensionnat, on donne à Manuela l’uniforme d'une précédente pensionnaire. On apprendra que celle-ci a tenté de se suicider, par amour pour son professeur. Soit le programme exact que suivra Manuela.
Comme dans Suspiria et Phenomena, nous découvrons la communauté féminine et ses secrets par l'intermédiaire d'une jeune novice. Jennifer, l’héroïne de Phenomena, porte le manteau de Greta, une précédente victime du tueur. La "différence" de Jennifer (ses dons paranormaux) pourraient être une métaphore de l'homosexualité ou de tout autre trait discriminatoire.


Tels étaient donc mes impressions lors de cette première vision de Jeunes filles en uniforme.

La piste japonaise

Il y a à peu près deux ans, je retrouve le film en téléchargement.
Le plus évident est le titre, mais qui pourrait prêter à rire tellement le rapport est basique : Jeunes filles en uniforme évoque désormais davantage un groupe de lolitas en costumes marins que des garçonnes allemandes.
Nous avons donc des adolescentes en uniformes, une communauté féminine régie par des règles strictes, quasi-militaires, mais qui va être bouleversée par un amour homosexuel.


Cet amour interdit est exclusivement romantique et platonique.
Donnée importante, il s'exerce entre une adolescente et son aînée, une professeur encore jeune. La différence d'âge et de condition est une donnée importante dans la transgression des règles.
Nous avons là un schéma que l'on retrouve dans un nombre considérable de mangas pour filles ou "shojo" pour n'en citer qu'un : Très cher frère (Oniisamae) de Ryoko Ikeda.


Le culte que les élèves portent à Fräulein von Bernburg rappelle le fanatisme des pensionnaires de Très cher frère pour leurs aînées.
À signaler qu'à l'heure actuelle, ce schéma est reproduit dans les mangas Yaoi, décrivant des amours homosexuelles masculines. Dans cette branche du Shojo manga, les héros sont des éphèbes longilignes.
On ne peut qu’être saisi par la beauté de Hertha Thiele l'interprète de Manuela, ses traits tellement parfaits et réguliers qu'on les croirait dessiné. Essayons de voir ce visage purement occidental avec des yeux japonais : il serait exotique mais représenterait avec une grande pureté la jeune fille européenne. La professeur possède le même type de visage mais plus âgé. La jeune fille est blonde et la professeur brune, une répartition classique que les mangas, Shojo ou Yaoi, respecteront.


Le film est lui-aussi parfaitement dessiné et graphique : chemises de nuit blanches pour les pensionnaires, uniformes à rayures coquets pour la journée. Tous les professeurs sont en revanche vêtues de longues robes noires boutonnées jusqu'au cou.
Le climax du film est encore plus troublant : après, une représentation théâtrale de Don Carlos de Schiller pour fêter l'anniversaire de la directrice, Manuela, encore vêtue de son costume de scène masculin, avoue à ses camarades son amour pour Fräulein von Bernburg. Sur un palier d'escalier, surplombant ses camarades, elle prolonge ainsi le spectacle.
C'est en passant par la représentation et le travestissement que Manuela avoue sa passion.


On retrouve cette situation dans les mangas, mais surtout dans le Takarazuka, célèbre compagnie théâtrale japonaise fondée en 1914. Le Takarazuka, qui siège encore à Ginza avec un succès non démenti, est exclusivement interprété par des femmes qui se partagent rôles masculins et féminins. Les pièces abordent tous les genres, toutes les époques (même la révolution chinoise) mais avec une prédilection pour le romantisme européen. Le public est également essentiellement féminin (bien qu’un peu âgé) et certaines actrices sont vénérées.
Le Takarazuka en 1948
Un film allemand des années 30 a-t-il eu une réelle influence sur la culture japonaise ?
Un dernier élément, découvert récemment, m’enlève presque tous mes doutes : le film a reçu le Japanese Kinema Junpo Award for Best Foreign Language Film à Tokyo en 1934. Même si je ne sais rien de la distribution et du succès du film au Japon, au moins a-t-il bel et bien franchi le Pacifique.

Revenons maintenant à la piste italienne : Dario Argento.


Dario Argento est une star au japon, depuis Suspiria. Les japonais aiment ses films parce qu'ils y trouvent ce qu'ils reconnaissent et aiment déjà dans l'horreur "shojo" (au Japon, l'horreur et le fantastique sont traditionnellement réservées aux filles). Ils y retrouvent par exemple un usage décomplexé des couleurs et du sang comme purs éléments graphiques. Comme dans la plupart des mangas, les héroïnes sont bien plus que virginales : leur sexualité n’est pas affirmée. Leur âge est également indéterminé. Dans Suspiria et Phenomena, bien que jeunes adultes ou adolescentes, les pensionnaires se conduisent comme des petites filles. Argento avait lui-même reconnu avoir écrit le scénario de Suspiria pour des fillettes de 12 ans avant d'engager des actrices adultes.

Entre Allemagne, Japon et Italie, entre Dario Argento, le théâtre romantique et Ryoko Ikeda, l'influence de  Jeunes filles en uniforme est fertile, dépassant son simple cadre.

samedi 8 janvier 2011

Curiosités spatiales



Depuis mon adolescence, je crois n’avoir jamais écouté autant David Bowie que ces derniers temps. Son silence persistant, les rumeurs sur sa maladie, ont peut-être suscité le besoin d’entendre encore sa voix. Et de se plonger dans des albums que j’avais négligé comme les magnifiques Heathen et Reality.
De vieilles interrogations ressurgissent. On sait que Bowie a choisi son nom de scène d’après le Bowie Knife, créé Jim Bowie, colonel mort à Alamo. Pourtant, à cause de Space Oddity, inspiré de 2001, j’avais plus volontiers fait le rapprochement avec le personnage de Dave Bowman interprété par Keir Dullea, britannique auquel je trouvais une légère ressemblance avec Bowie. Pure coïncidence puisque Bowie a choisit son surnom en 1967, soit deux ans avant la sortie de 2001.
En revanche, aucune coïcidence dans le fait que Duncan Jones, le fils de Bowie, ait réalisé Moon, double hommage à Kubrick et à Space Oddity.



jeudi 6 janvier 2011

New York 6. Ciao Manhattan



New York 5. La solitude du gardien de musée

Au Whitney Museum, spécialisé dans l’art américain, une expo «Edward Hopper et son temps».
Outre le plaisir de plonger directement dans la matière silencieuse et immobile des toiles de Hopper, quelques œuvres intéressantes comme Poker Night (1949) de Thomas Hart Benton d’après A Streetcar Named Desire, commandé spécialement par David O. Selznick pour son épouse Irène. On reconnait Marlon Brando et Karl Malden, Blanche Dubois a sans doute les traits de Jessica Tandy puisque le peintre se serait basé sur la distribution théâtrale.



Sailors and Floosies (1938) de Paul Cadmus est quant à lui proche d’un underground homosexuel (mais surtout maritime)à la Anger/Genet.



Une autre exposition, un peu fourre-tout, du Whitney Museum appelée Singular Visions. La plus belle pièce était The Wait de Edward Kienzholt. Un « mannequin » de femme (Mrs. Bates ?) dans un salon momifié : une photographie encadrée lui fait office de tête et autour de son cou un collier de bouteilles dorées conserve ses souvenirs. Un chat pétrifié se tient à ses pieds. Dans une cage, un perroquet bleu vivant. Le gardien chargé de surveiller la pièce semblait s’être pris d’amitié pour l’oiseau, sifflotant pour lui.



Parcourant le reste de l’exposition, je ne pouvais pas m’empêcher d’associer les œuvres et les gardiens. Il suffisait de trouver le bon angle pour inscrire le gardien dans le groupe de passant du Walk, Don’t Walk de George Segal.



Celui dans la pièce nue de Tenerife de Robert Grosvenor, semblait comme épinglé au mur par la grande pointe de métal.



Et que dire de celui chargé de garder la grande photographie de AA Bronson, June 5 1994, représentant un malade du sida peu te temps après son décès. Une image frontale de la mort, devant laquelle personne ne peut se tenir, et que le gardien doit accompagner de longues heures.



Le gardien de musée, à sa façon, est aussi une sentinelle des maudits.


Le site Flicker de l'exposition Hopper

http://www.flickr.com/photos/utrechtwillem/sets/72157622876160400/detail/


Une gallery consacrée à Paul Cadmus :

http://www.tendreams.org/cadmus.htm



dimanche 2 janvier 2011

New York 4. On demande M. Kaplan


Musée Guggenheim, une expo sur le retour à la figuration qui a suivi en Europe la 1ere guerre mondiale. Belle idée de commencer par des "gueules cassées" et des charniers dessinés par Otto Dix pour évoquer ensuite une reconstruction de la figure humaine. Peintures de Picasso, Otto Dix, Antonio Donghi... Une photographie, Isadora Duncan par Edward Steichen (1923) me rappelle La Mort de Maria Malibran de Schroeter.




Grand plaisir à voir aussi pour la première fois La Rue de Balthus, drôle et inquiétante. Et puis peu à peu les lignes se durcissent et c'est un autre esprit qui apparaît, menant à l'exaltation du corps fasciste. L'architecture du Guggenheim est parfaite avec sa grande spirale que l'on gravit preque inconsciemment sur 7 étages. L'apogée de l'exposition n'en devient que plus glaçante lorsqu'on aboutit à une petite pièce consacrée à l'art nazi et fasciste : un triptyque d'Adolph Ziegler, les 4 éléments, vaguement antique et absolument hideux, qui décorait l'appartement d'Hitler ; les jeunes gladiateurs au repos de Chirico ; et surtout une assez impressionnante sculpture, le Jeune guerrier de Georg Koble. Parfait raccord avec Olympia de Riefenstahl qui passe dans la salle de projection.


L'après-midi, je déjeune à la Oak Room du Plaza Hotel. J'y tenais absolument puisqu'il s'agit du bar où le publicitaire Thornhill est confondu avec l'inexistant espion Kaplan. Emotion en découvrant "en vrai" la peinture des rues enneigées où un homme, soutenu par deux femmes se dirige vers un fiacre.


Si Thornhill rejoint bien les vieux clients sous cette peinture, j'ai du mal à reconstituer ses déplacements. Il semblerait qu'hitchock ait déplacé, à son opposé le tableau, pour que Thornhill traverse tout le bar pour retrouver les clients. C'est le signe que cette peinture lui importait particulièrement. Evidemment, le bar fut sans doute reconstitué en studio et Hitchcock a probablement opéré de légères modifications spatiales.


En sortant, je fais des photos dans le couloir, celui par lequel sortent Thornill et les deux espions qui l'enlèvent. Une jeune fille blonde (bien évidemment) prend imperceptiblement la pose.