lundi 26 septembre 2011

Chris. Marker nous parle des sorcières-chattes japonaises



"Je ne sais pas combien il s’est fait de films sur la Bake-neko. Qu’ils soient tous ignorés en Europe en dit long sur la culture de cette petite péninsule caractérielle. (En Amérique, on peut les voir sur la côte Ouest, grâce aux stations de TV japonaises.) Le déroulement est toujours le même : un homme est assassiné. Le chat, témoin du meurtre, fait entrer son esprit dans le corps d’une femme — et là, quelle que soit la version, il y a toujours une scène prodigieuse, celle où la femme commence à mêler, dans ses gestes, le comportement du chat au sien, quand elle se met à griffer lentement l’air avec sa… patte, quand elle se met à laper au lieu de boire. Cette femme va devenir l’instrument de la vengeance, et les meurtriers, elle va leur faire passer le goût du saké. Mais ce qui est très caractéristique, c’est que ce personnage de vengeresse somme toute sympathique au regard de la morale populaire va inévitablement en faire trop. La vengeance déchaînée s’étend à d’autres innocents, le sang coule à flots, et rituellement (après qu’on ait eu droit par exemple, pour citer un des plus beaux fleurons du genre, à sa tête coupée volant au-dessus des maisons) le conte s’achève par la mort cruelle de la femme-chat qui reprend son apparence, comme le Docteur Jekyll et l’homme invisible. La violence une fois lâchée, le désordre est partout, il ne peut pas se satisfaire d’une élémentaire loi du talion, meurtre pour meurtre ; toute idée de justice, de réparation est dérisoire, la violence ne s’achèvera qu’en s’engloutissant elle-même, comme un volcan."
Chris. Marker, Le dépays (1982).

Le texte intégral du Dépays : ici

dimanche 25 septembre 2011

Le dossier de presse de Sans soleil de Chris Marker





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Je m'aperçois, en explorant la page des coupures de journaux du dossier de presse, que Doraemaon, le chat robot sans oreilles de Hiroshi Fujimoto, est un proche cousin du chat Guillaume.

vendredi 23 septembre 2011

AKA ANA. Un film de Antoine d’Agata. 2006.

Texte de la voix-off (extrait) 


 Je veux te raconter les histoires de ces filles.
Celle pour qui le sexe est une arme dont elle se sert pour tuer l’homme.
Celle qui pour le goût de la salive, le goût du sperme, et le goût du vomi qui se mélangent, sont le goût de la vie et la soulagent.
Celle qui tente de vivre sans ressentir les blessures de son cœur et de son corps.
Celle pour qui travailler au bordel reste incompréhensible.
Celle qui, après le sexe, vole de l’argent dans le portefeuille de ses clients.
Celle qui a été violée par l’homme qu’elle aime.
Celle qui pense : « Je le veux. » et ne pense que cela quand elle choisit un homme.
Celle qui est devenue dépendante de son souteneur et de la masturbation.
Celle qui a été élevée comme un animal domestique par un homme riche.
Celle qui, en préservant l’amour, obéit au sexe, à l’homme, et à son vagin.
Celle qui sait qu’elle va mourir bientôt et ressent du désir pour son amant.
Celle qui se demande si elle est sale, mécanique sexuelle sale, achetée par des hommes sales.
Celle qui pense être morte à cause d’un viol, et espère se venger par le sexe.
Celle qui a reçu le sperme de cinquante hommes et en a joui.
Celle pour qui le sexe et elle-même ne sont que de l’argent, et qui vit de croire cela.
Celle pour qui se regarder baiser est le seul acte qui la rende consciente de sa vie.


C’est presque une même mémoire que nous avons toi et moi. Dans des chambres d’hôtels obscures, toutes les nuits tu rencontres des filles. Tu ne comprends pas le monde, tu l’avales c’est tout. Le remède est de vivre. Mais vivre est difficile.
Tu pensais changer le monde, tu sais maintenant que tu ne peux que regarder. C’est la perfection que tu cherches même si c’est insensé.

Ce que tu sais te rend fort mais ta vanité suffit à te perdre.
Dans le monde tout est miroir et tes blessures intérieures se reflètent dans tes yeux vides.
Tu as dit que tu voulais me filmer mais tu voulais me toucher. Tu essaies de te libérer en te débattant. Tu me suis à la trace. J’étais perturbée mais j’ai accepté pour toi.
Tu ne m’as jamais parlé de tes vraies raisons. Mon espoir et mes blessures seront dévorées. Est-ce pour moi aujourd’hui que je pleure ? Ou est-ce pour ton cœur, dont j’ai touché la pureté ?
Sors-moi de là...
Le trou rouge... c’est peut-être toi.


AKA ANA
Un film de Antoine d’Agata



C’est dans un lieu désertique qu’elle apparait, comme une illusion, une ville fantôme qui, malgré son apparence, n’a pas de substance. C’est une zone qui accepte et avale les gens fragiles. Là souffle le vent du désert.
Elle est la source du désir humain comme une force magnétique, une topographie qu’on ne trouve pas ailleurs.
Elle est brute, dépouillée et sans fard. Elle est floue et anonyme. Elle avale tout, comme un liquide organique, elle irrigue la chair et simplement l’humain.

Filmer l’état de cette ville, et son paysage, en donner une image aboutie est totalement impossible. Comme une amibe, elle se multiplie, se divise sans cesse, et, en frémissant, vit le jour et la nuit, continue sa multiplication énigmatique. Au bout de la jouissance sexuelle, la mort est là qui attend. La mort et le sexe sont proches mais distincts. La mort est une masse de particules, un brouillard qui enveloppe l’humain. La mort est un nuage de poussière qui flotte autour de la vie.

lundi 12 septembre 2011

Damnées à Shibuya




Guilty of Romance de Sono Sion est comme la reprise, ambitieuse et opératique, des roman porno écrits par Dan Oniroku ou Naomi Tani jouait des femmes au foyer sombrant dans la prostitution. Le jeu de soumission était toujours un leurre et l’actrice dévoilait soudain son vrai visage, exorbité par la folie et le plaisir, comme une version japonaise de la Dirty de Bataille.

Guilty of Romance se déroule en grand partie à Maruyama, la colline des love hotels de Shibuya. Ces petites chapelles multicolores trouvent une version dégradée - mais qui est aussi leur vérité - dans l’hôtel en ruine où Izumi, la femme au foyer, suit Kazuko la professeur qui  ne se prostitue que pour atteindre l’enfer, le jigoku.

Makoto est damnée et depuis l’enfance le feu des désirs interdits dévore ses entrailles.

Izumi est entraînée, toujours un peu plus loin dans le monde de Kazuko, jusqu’à s’apercevoir que le love hotel en ruine était aussi le double infernal de son propre foyer. Elle perd alors définitivement son chemin, oublie qui elle est, et gagne un territoire qui n’est plus Tokyo, qui est peut-être Osaka, où les prostituées ne sont même plus japonaises.


Est-elle parvenue à atteindre le Château ?
















samedi 10 septembre 2011

Captain America, requiem pour un super héros vierge



Steve Rogers, alias Captain America est vierge. Mais vierge de quoi exactement ? Son sacrifice, qui évite un 11 septembre qui aurait eu lieu en 1940, le laisse prisonnier des glaces en Alaska. Il ne sort de son sommeil qu’en 2011.
Habilement le scénario lui fait livrer une seconde guerre mondiale parallèle, non contre Hitler et les nazis mais contre Crâne rouge (son double maléfique puisqu’il est issu de la même technologie) et l’armée secrète allemande Hydra. Le Cap' n’influe donc pas sur le cours d’une histoire qu’il appartient aux homme de régler. Congelé pendant plus de 60 ans, il évite de participer aux «sales guerres». Il n’y aura donc pas de Captain America au Vietnam (ce rôle est assuré par le Comédien, son double sardonique dans les Watchmen d’Alan Moore), ni de Captain America pendant la première guerre du Golfe. Absent pendant le11 septembre, le Captain America ne sera pas devenu un héros de l’Amérique de Bush, participant aux mensonges de la guerre d’Irak.
Le patriotisme du Cap’, vierge et innocent, est celui de l’Amérique d’Obama.



Yoshihiro Nishimura et Yumiko Hara



 


. 9 septembre 2011. Interview à l’Étrange festival.

vendredi 9 septembre 2011

Entrée des fantômes (2)


Daniel Rabel, Première Entrée des Fantômes, 1632
Joseph Mazzuca, Sisters of Death, 1977

jeudi 8 septembre 2011

La femme cauchemar


Dementia (1955) de John Parker, film muet d’une cinquantaine de minutes, est une dérive mentale féminine dans la lignée de Blue Gardenia de Lang, de Carnival of Souls de Herk Harvey ou du Silence de Bergman. Dans un Los Angeles nocturne, une jeune femme assassine en état de transe, revivant ses traumas en spasmes surréalistes. Dementia est un film noir poisseux, dans une ville cauchemar que l’on imagine encore hantée par les assassins du Dahlia Noir. Expressionnisme relocalisé à l’ouest des USA, ombres suffocantes dévorant les personnages, gros plans fiévreux de visages... Dementia anticipe de trois ans La Soif du mal de Welles et en pose déjà les bases esthétiques*. On trouve même un sosie de Welles, Bruno VeSota en bourgeois adipeux. 


Autour de Dementia aurait très bien pu se bâtir la légende de Welles tournant en indépendant une petite production d’horreur underground. La vérité est différente mais pas moins mystérieuse : Stéphane Bourgoin dans l’édition DVD Bach film nous apprend que John Parker était le fils d’un exploitant de salle. Son unique film serait inspiré d’un rêve de son assistante, Adrienne Barrett, qui par ailleurs interprète le rôle principal (curieusement nommé The Gamin).
Dementia est empreint de désespérance et de fatalité. Un journal, porté par le vent, ne cesse de mettre devant les yeux de la jeune femme ses gros titres, comme un sinistre oracle : meurtre mystérieux au couteau. Ce mauvais sort, The Gamin ne cesse de le fuir, tout en ne pouvant échapper à son inexorable aimantation. L’errance dans les rues, le racolage de l’homme riche, son meurtre, la main coupée crispée sur un médaillon, le club de jazz...  Tout est à venir et déjà accompli. Au terme de sa fugue elle reprend sa place initiale, dans une chambre sordide, et le cycle est prêt à recommencer.
Ce manège infernal trouve son origine dans un trauma enfantin. Sa révélation est la scène la plus étonnante de Dementia. La jeune femme est guidée à travers un cimetière brumeux par un homme sans visage. 


 Sur les pierres tombales ne sont gravés que les mots Father et Mother. Dans le cimetière lui-même apparaissent le mobilier d’un salon et les fantômes des parents. Le père est un tyran domestique, alcoolique, terrorisant sa femme et sa fille. Sans doute, à moins qu’il ne s’agisse d’un désir non formulé, la jeune femme a poignardé son père qui venait d'assassiner sa mère.
Les morts-vivants les plus terrifiants sont ceux des mauvais souvenirs d’enfance.





*  La magnifique photographie est d’ailleurs l’œuvre de William C. Thompson qui éclaira les films mythiques d’Ed Wood.

samedi 3 septembre 2011

Orgasm Racer

Redline de Koike Takeshi


Dans un lointain futur, des courses automobiles où s’affrontent des mutants, des robots-guerriers, et des extra-terrestres plus ou moins humanoïdes. La ligne rouge est le nom de la dernière compétition, sur une planète nommée Roboworld et plus ou moins fascistoîde, tendance Rêve de fer. Les courses sont surtout une façon pour Koike Takeshi (avec au scénario et au concept Katsuhito Ishii, le réalisateur fou et libre de The taste of Tea) d’exploser ses images en un kaléidoscope hallucinogène de couleurs. D’ailleurs, lorsque les bolides sont arrivées aux bout de leurs possibilités, on envoie des pastilles dans leurs réservoirs pour leur faire accomplir des performances surhumaines - claire métaphore d’une Extasy de l’action pour un film conçu comme un délire techno, une rave animée.



Franchir la Redline, la dernière étape, on s’en aperçoit bien vite, c’est atteindre l’orgasme. le pilote JP et son adversaire, la belle Sonoshee, finissent par s’unir, pilotant la dernière voiture en un magnifique duo d’amour-action. Alors que les super-otakus ne peuvent s’hybrider qu’avec leurs machines, eux, dont les carcasses d’acier se sont désintégrées, ne sont plus que deux corps propulsés dans l’espace, qui franchissent la dernière ligne, la ligne rouge. Dans l’extase.







Le 19 octobre 2011 Kazé éditera REDLINE en DVD et BLU RAY
http://www.kaze.fr/index.php

vendredi 2 septembre 2011

Poézie des Zombies de Série Z


Voodoo Man est une imitation de White Zombie, tourné en 1944 par William Beaudine, cinéaste réputé du muet qui termina sa carrière en alignant de superbes séries Z. Ici, plus de terre haïtienne fantasmatique mais un coin de campagne californienne où Lugosi capture des jeunes femmes pour redonner vie à son épouse morte depuis 22 ans (mais bien peu morte et toujours belle). Les diaphanes somnambules en chemise de nuit blanches traversent les champs et les petites routes, le pompiste est un prêtre vaudou et John Carradine, le plus dandy des weirdos de la cambrousse, promène sa silhouette dégingandé de Nick Cave rigolard.
Quant aux rites vaudous, à la douteuse véracité ethnologique, ils pourraient cependant se révéler efficace pour ramener à la vie Lux Interior le défunt leader des Cramps - Voodoo Man semble être la pierre philosophale de l’inspiration de ce grand groupe disparu. Et on entendrait presque, subliminalement, Lux Interior hululer en bande sonore : voodooooooooo...






NB : une petite chute humoristique. Le héros, scénariste de série B, tire de son aventure un script qu'il verrait bien interprété par... Bela Lugosi.

White Zombie fait partie du coffret «Bela Lugosi l’immortel» édité par Artus Films.
http://www.artusfilms.com/coffret-bela-lugosi-immortel