samedi 22 octobre 2011

Isabelle possédée


Entre 1975 et 1983, Isabelle Adjani fut la plus grande actrice du cinéma français. Deneuve, de dix ans plus âgée incarnait «la» française, façonnée YSL. Huppert, sa contemporaine, était déjà précise et cérébrale. Adjani apporta quelque chose d’inconnu, ne relevant d’aucune tradition, qui ne passait pas par l’intellect, qui refusait même sa propre beauté. Finalement proche d’une Barbara Steele, elle fut l’actrice du sang et de la folie - pionnière d’un territoire où seule peut-être Asia Argento et Béatrice Dalle se risqueront par la suite.
D’abord vinrent les fiancées gothiques : Adèle H, l’amoureuse hantée ; Lucy la somnambule qui retient jusqu’à l’aube la sangsue Nosferatu ; Emily Brontë, bien sûr, et son royaume imaginaire. Le danger était qu’elle ne soit plus, comme disait Zulawski, que cette petite chose pâle et tremblante.
Et puis, en 1981, alors qu’elle n’avait que 26 ans, elle devint un monstre, avec le film dont le titre pouvait alors tout entière la résumer : Possession.
Berlin. Une femme double dans une ville double, amante et mère nourricière d’une créature tentaculaire, lointaine évocation du poulpe d’Hokusai. Lors de la scène de démence dans le métro, Adjani est née comme monstre de cinéma, mais morte aussitôt car aucun film, en France en tout cas, ne pouvait l’accueillir. Son territoire est ici celui des arts corporels, dans leur versant le plus extrême. Herman Nitsch et les actionnistes viennois, car son hystérie est aussi politique - incarnation de la colère d’un Polonais exilé ; une sorte de butô occidental car au milieu de la folie, elle n’abandonne pas une certaine stylisation des gestes. La robe bleue tachée de lait, de vomi et de sang, plaquée à sa peau dessine un corps obscur à l’organicité répulsive. Adjani, se hisse alors au niveau des grandes actrices des années 70, les seules dont on devrait se souvenir : les créatures transgressives du cinéma d’horreur et pornographique des années 70, Sissy Spaceck, méduse blanche et sorcière rouge  dans Carrie ; Georgina Spelvin et la masturbation abrasive et sans libération de la fin de The Devil in Miss Jones ; Marilyn Chambers, corps absolu du plaisir chez les frères Mitchell (Derrière la porte verte) et vampire chez Cronenberg (Rabid) ; Lina Romay et ses orgasmes sanglants et effrayants chez Jess Franco...
Adjani laissera le monstre à Berlin et deviendra une femme fatale plus classique dans l’adaptation ratée de Mortelle randonnée par Claude Miller ou encore dans L’Eté meurtrier. Le sang et la folie reviendront dans La Reine Margot et Camille Claudel, mais mis sur un piédestal, théâtralisés et trop conscient d’eux-mêmes.
Ce que l’on voyait dans Possession, qui terrifiait, émouvait et enchantait, c’était aussi la passion brute d’une jeune femme pour son métier d’actrice.


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