vendredi 2 octobre 2009

Jean Rollin : les vampires, les souvenirs et les ruines


Le jour où de belles femmes étranges sortiront à nouveau des horloges des châteaux, ce jour-là nous retrouverons goût à la vie.
Jean Rollin, La Statue de chair (1998)


Après plusieurs courts métrages (Les Amours jaunes, Ciel de cuivre, Les Pays loins) et une collaboration avortée avec Marguerite Duras (L'Itinéraire marin qui comptait Gaston Modot dans sa distribution), Jean Rollin réalise en 1968 son premier long métrage fantastique. Le Viol du vampire contient les motifs des œuvres à venir : des filles séquestrées, folles élevées dans la superstition ou mortes vivantes aux souvenirs érodées par les siècles, une fiancée séduite par les vampires, un final sur la plage de Dieppe. Un univers complet que Rollin, avec une constance dont on trouve peu d'équivalent, explorera jusqu'à nos jours. À partir du Viol..., Rollin tourne une trilogie baroque : La Vampire nue interprété par Maurice Lemaître (1969), le psychédélique Frisson des vampires (1970) et Requiem pour un vampire (1971).

Outre des créatures malicieuses et humoristiques, l'œuvre de Rollin est dominée par la figure d'une femme sadienne, pourvoyeuse de mort, mais toujours soumise aux pulsions ou manipulée par des forces occultes. Dans Le Frisson... et Requiem..., la vampire, pâle, arachnéenne et affamée, idéalement incarnée par Dominique, est radicalement opposée aux canons alors en vigueur de la Hammer. L'univers fantastique chez Rollin est toujours aux rivages de la folie avec pour thèmes obsessionnels l'aliénation, le retrait du monde et la mémoire brisée.



La Nuit des traquées (1980), montre des créatures amnésiques et livides, errant dans des couloirs nus. Loin des univers enchantés du Frisson..., Rollin opère un raccourci saisissant entre l'urbanisme glacé des années 70, les abattoirs et les trains de la mort. Les films de Rollin sont parcourus de longues marches somnambuliques dans ces mondes intermédiaires que sont les châteaux en ruine, cimetières, gares de triage, espaces aberrants possédant leur propre logique. Dans La Rose de fer (1972), le cimetière referme ses pétales froids et noirs sur les amoureux, et les emprisonne dans la mort et la nuit. La plage de Dieppe (présente dès Les Amours jaunes) est la conclusion obligatoire de la plupart des films de Rollin. Si l'on peut voir dans la plage, que la marée renvoie sans cesse à la virginité, l'espace mental des personnages aux souvenirs effacés, elle est aussi une matrice poétique : elle emporte le cercueil des amants vampire (Lèvres de sang), devient la nourricière cruelle des naufrageurs (Les Démoniaques) et conduit à d'autres dimensions (La Vampire nue).

Le vampire est inséparable du territoire qu'il appelle à parcourir. Comme Nadja ou Les Filles du feu de Nerval, les vampires invitent à l'errance amoureuse et permettent de se dégager du monde. Lèvres de sang (1974), dont les associations lancinantes (le paysage... mes souvenirs... les ruines...) évoquent souvent Duras, est un voyage dans la mémoire, à la recherche de la vampire, la sœur...



Après Les Trottoirs de Bangkok (1983), l'œuvre de Rollin se fait plus sporadique (scènes additionnelles pour Emmanuelle 6, projet sans suite sur Harry Dickson, le peu satisfaisant Killing Car), mais contient cependant des perles (Perdues dans New York). Cette absence cinématographique n'est pas pour autant une éclipse créatrice. Très présent dans la littérature, Jean Rollin dirige des collections (au Fleuve Noir, Florent Massot, Les Belles Lettres), faisant découvrir de jeunes auteurs, des classiques oubliés et publiant ses propres livres (La Petite ogresse, Enfer privé ou La Statue de chair).

Les Deux Orphelines vampires (1995) et La Fiancée de Dracula (2000) marquent un retour à l'univers enchanté de ses premières œuvres. La fiancée de Dracula est une jeune femme amnésique, séquestrée par une secte, des nonnes délirantes qui veulent la sacrifier au Prince des Ténèbres. La célèbre phrase de Gaston Leroux (Le presbytère n'a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat) qui concluait Le Viol..., tient lieu de formule magique. Aux images baroques à la force évocatrice intacte (une vampire exposé au soleil sur un radeau, hurlant de douleur), Rollin apporte une nouvelle mythologie développée dans ses ouvrages : goules, vampires et ogres, appartiennent aux Parallèles, peuple des ténèbres vivant en marge de notre monde.



Les deux orphelines vampires, quant à elles, sont les héroïnes d'un serial publié au Fleuve Noir. Aveugles le jour, les orphelines voient la nuit en bleu monochrome. Belles comme des images et parlant comme un livre, elles sont des figures candides, s'imaginant les réincarnations de cruelles déesses aztèques. Comme la femme vampire du Frisson... surgissant d'une horloge, les deux orphelines viennent de l'intérieur du temps, du plus profond de l'enfance. Elles sont nées de chuchotements dans l'obscurité d'un pensionnat, de romans populaires exaltés, de cruels récits de voyages exotiques. Elles sont la dernière incarnation de ces jeunes filles qui dansent dans les cimetières, se tiennent par la main, rient et gambadent parmi les tombes.
Aveugles au réel, les yeux des orphelines vampires sont ouverts sur la beauté et l'imagination.



Stéphane du Mesnildot

Hommage à Jean Rollin, le vendredi 23 mars 2001 à la Cinémathèque française











Images :
Les Démoniaques
La Nuit des traquées

La vampire nue

Requiem pour un vampire

Dépliant de la séance Maurice Lemaître/Jean Rollin à la Cinémathèque française
12 décembre 1999

jeudi 10 septembre 2009

Cache-cache pastoral de Shuji Terayama





Textes et interview tirés du dossier de presse original (1974).




Synopsis

Un garçon de quinze ans vit seul avec sa mère dans une vieille maison au pied du Mont de l'Effroi. Il étouffe. Il a envie de prendre le train, de s'en aller au loin, d'abandonner sa mère.
Quelquefois, il va bavarder avec son père défunt qui lui parle par la bouche d'une prêtresse du Mont de l'Effroi. Un jour, se mêlant aux gens d'un cirque installé dans le village, il fait la connaissance de la Femme-ballon. Il a de plus en plus envie de partir...
Le garçon porte une admiration inavouée à la jeune mariée de la maison voisine. Quand elle lui propose de s'enfuir avec elle. Au comble de la joie, il est prêt à faire n'importe quoi pour l'accompagner.

Là s'arrête le premier récit "autobiographique" du cinéaste.
En rentrant chez lui, l'auteur se trouve en présence de lui-même encore enfant, qui lui reproche d'avoir faussé, embelli son passé.
Il entreprend alors un voyage à travers son enfance afin de la modifier. Après sa rencontre avec l'enfant qu'il était, il songe à tuer sa mère, mais en se débarrassant de l'existence maternelle, pourra-t-il se libérer vraiment de son existence écoulée ?




Propos du réalisateur


Mon enfance. Les grandes parties de cache-cache... C'était à. moi de chercher les autres, et personne ne répondait plus a mes appels.
A la tombée du jour, les musiciens du cirque voisin, qui répétaient pour la représentation du lendemain, étaient partis se coucher. Et moi, le long d'un chemin désert, au fond de cette campagne où je suis né, je cherchais toujours mes petits camarades. Mais où est-ce qu'ils ont bien pu passer?
Une lumière filtrant aux fenêtres d'une maison. Du dehors, j'observe celui qui, dans la salle commune, sert à manger aux siens. Je reconnais, dans ce vénérable chef de famille, un des enfants partis se cacher au début du jeu. Tous les autres avaient également pris de l'âge. Ils avaient échappé à mes recherches. Ils me reléguaient dans mon enfance.
Si nous voulons nous libérer, liquider en nous toute l'histoire de l'humanité, et, autour de nous, celle de la société, il nous faut d'abord évacuer nos propres souvenirs. Mais alors, notre mémoire commence avec nous une partie de cache-cache et ne peut guère se livrer intégralement.

Dans ce film, où le personnage central entreprend une sorte de révision de son passé, je me suis proposé de retrouver avec lui son identité. Et par là notre identité a tous.

Shuji TERAYAMA




Interview de Shuji TERAYAMA

Enfant, vous avez été recueilli par un parent, propriétaire d'un cinéma, et vous avez découvert ainsi la magie de ce moyen d'expression. Quels sont les films qui vous ont alors, le plus marqué ?
Mon premier contact avec le cinéma, à cette époque, fut limité au son : c'est derrière l'écran que j'avais "ma petite place", ce qui, fait que j'étais privé de l'image - et ce qui explique peut-être l'importance que j'accorde à la bande-son, notamment dans "Jetons les livres..." 
De même, ma première œuvre d'auteur fut un drame radiophonique. Je vais ajouter, sans aucune modestie, qu'on me considérait comme "un génie de la radio" et que j'obtins plusieurs prix radiophoniques internationaux. Le premier vrai film, complet, qui m'impressionna fortement fut "Les Enfants du Paradis", et plus particulièrement la scène où Marcel Herrand tire un rideau et montre une scène d'amour, devenant l'auteur de cette même scène, qui semble être son œuvre...

Qu'est-ce qui vous a conduit, plus tard, à devenir critique de boxe ?
La boxe est une pièce de théâtre jouée silencieusement par deux hommes... C'est "En attendant Godot" - sans paroles... De plus, c'est très érotique. Dans mon enfance, j'ai pratiqué la boxe. Ne pouvant continuer, je suis devenu critique. La boxe montre que la force physique a tendance à perdre de son importance dans le monde culturel contemporain - Est-ce un tort - Est-ce un manque ? 



Comment est né "DEN'EN NI SHISU", le recueil de poèmes devenu plus tard "Cache-cache Pastoral" et pourquoi avez-vous voulu, plus tard encore, en faire un film ?
J'ai commencé à composer des poèmes alors que j'étais adolescent. A l'âge de 26 ans, j'ai décidé de renoncer à la poésie mais, avant d'arrêter, j'ai voulu écrire sur mon enfance et m'en tenir là. C'est ce qui est devenu "Cache-cache Pastoral"; le recueil de poèmes.
Il faut vous souvenir qu'après la guerre tout était ruine tout était à refaire "par les enfants" et qu'aussi, à partir du chaos, tout était admis. Moi, je voulais m'imposer une forme ; j'ai choisi le poème pour la rigueur du rythme... Par contre, après 1960 le Japon est devenu un pays asservi, encombré d'obligations et, quand le monde n'a plus de liberté, il faut, plus que jamais, trouver une forme d'expression libre...
Pourquoi, ensuite, un film ? Parce que je considérais que le recueil de poèmes ne traduisant plus ma vraie (?) enfance, était fabriqué. J'ai voulu décomposer ma mémoire, pour me libérer de mon enfance. Je ne pense pas que j'y ai réussi, puisque le cinéma, aussi impose ses règles. Je n'ai peut-être pas encore complètement "traduit" mon enfance, mais j'ai réussi à la "dire" différemment... Je voulais passer de l'intérieur à l'extérieur - pour rentrer ensuite dans l'intérieur. Le poème est, trop souvent, un monologue. Mais le cinéma risque de l'être aussi...
Il y a, bien sûr, de l'onirisme dans le film. Du surréalisme, je ne sais pas. Mais il est marqué par Lautréamont et "les Chants de Maldoror". De même, je suis influencé par Marcel Duchamp et le compositeur John Cage... Notre œil ne voit que la surface. Parfois, avec un couteau, je suis tenté de m'ouvrir l'œil pour voir l'autre monde qu'on ne peut pas voir. J'aime aussi le Luis Buñuel de la période du 'Chien Andalou".

Qu'est-ce qui vous a poussé à fonder un théâtre-laboratoire et à devenir metteur en scène de théâtre ?
Je voulais utiliser la poésie "avec du corps". Le théâtre c'est la poésie incarnée. J'ai donc, en 1965, fondé un théâtre-laboratoire, un théâtre qui mêle public et acteurs, qui descend dans la rue, qui va en province, qui s'attache à mélanger les éléments.

Quand vous avez abordé la mise en scène de cinéma vous aviez certainement des "maîtres" dans ce domaine. Lesquels ?
D'abord, dans mon enfance, il y a eu Luis Buñuel et "Le Chien Andalou". Mais ce ne sont pas des cinéastes qui m'ont donné l'impulsion... je ne crois pas... Cependant, j'apprécie beaucoup et j'ai sans doute été frappé par Glauber Rocha et "Antonio Das Mortes", Fellini et "Huit et Demi", Antonioni et "L'Éclipse".



Qu'est-ce qui vous frappe le plus dans la vie actuelle, rapport avec le cinéma ?
La vie actuelle est un mélange de réalité et de fictif. On ne voit pas toujours la frontière. On se trompe... Tout ce qu'on filme est fiction : on le sait. Dans la vie, on ne sait plus... Par exemple, au cinéma, si quelqu'un tire, il est considéré comme un héros. Si on fait ça Place Saint-Michel, on est un criminel... Au cinéma, on faisait semblant de faire l'amour ; maintenant, on fait l'amour. Peut-être qu'un jour, au cinéma, on tuera vraiment...Dans la vie réelle, on "fait du cinéma" souvent, on simule ou on est emporté...

Auriez-vous aimé vivre à une autre époque et sous une autre identité : lesquelles ?
J'aurais aimé naître au Moyen Age - et devenir Casanova.

Hors le Japon, dans quel pays aimeriez-vous vivre et travailler ? Pourquoi ?
N'importe où, à Paris, Borne, Londres ou New-York - à condition qu'il y ait des gens. Pas le désert !

Quels sont les grands hommes décédés que vous auriez aimé connaître ? Pourquoi ?
Si une nuit, je recevais chez moi, il y aurait Karl Marx, Jayne Mansfield, Lautréamont, Jack Dempsey, Léonard De Vinci, Billy the Kid et Benjamin Franklin...

Parmi nos contemporains, quels sont ceux que vous aimeriez rencontrer et pourquoi ?
Toutes les femmes qui s'intéressent à moi... Je plaisante... II y aurait Jorge Luis Borges - non, je ne suis pas sûr que j'aimerais le connaître, son œuvre me suffit.

Que croyez-vous être ? Que voudriez-vous être ?
Je crois être Shuji Terayama. Ma profession est Shuji Terayama. Ce que je voudrais être ? Shuji Terayama... Mais un être humain n'est pas un être figé : il est toujours en devenir. Et je veux appliquer la théorie du paradoxe: pour être humain aussi. Vous savez ? Pour attraper la tortue le lapin fait la moitié du chemin, la tortue aussi ; mais le lapin ne rattrape jamais la tortue.... L'être humain veut devenir quelqu'un, mais il fait son chemin, son désir se déforme, se déplace, donc, il n'y arrive jamais.




Avez-vous un axiome ?
"La vie n'est qu'adieux" : C'est un vieux proverbe chinois.

Si vous n'étiez pas auteur-réalisateur de films, de quelle manière aimeriez-vous participer au monde d'aujourd'hui ?
En étant un révolutionnaire - et pas un homme politique ! Les soi-disant révolutionnaires veulent fonder une nouvelle société et, trop souvent, ne deviennent que des hommes politiques. Les vrais entretiennent l'état de révolution. En un sens, Trotzky était un surréaliste.

Quels sont, selon vous, vos atouts et vos handicaps ?
Mes atouts ? Je n'ai pas de famille, je n'ai pas de santé, je n'ai pas d'argent. Mes handicaps ? Les mêmes choses.

Qu'est-ce qui l'emporte, chez vous, de l'instinct, de l'intelligence, ou de la sensibilité ?
Je pense que ces trois éléments forment un jus composé; ils ne peuvent être dissociés.

Quel est votre paysage idéal ?
La nuit, je suis obsédé par un paysage : j'ouvre une porte et je me trouve au sommet d'un rocher; devant moi, il y a la mer, vide... Ceci est un rêve. Mon vrai paysage idéal comporte une foule, celle d'un champ de courses, celle d'une fête. Je ne suis bien que là où il y a beaucoup de monde; là je peux être seul - en le choisissant, je peux me cacher, m'effacer.



Qu'est-ce qui vous rebute le plus chez les êtres et dans nos mœurs actuelles ?
Je n'aime pas les êtres qui se défendent contre les changements, l'évolution, qui figent leur vie et en font une nature morte. Dans nos mœurs, ce qui me rebute, c'est le "chez moi-isme", la tradition, la prudence, le conservatisme tel qu'il &e pratique au Japon où l'on se protège. Ainsi, le Parti Communiste japonais, ça n'est pas du communisme, c'est du conservatisme...

Où vous situez-vous aujourd'hui, par rapport à vos ambitions et vos rêves ?
J'ai - et je perds - des ambitions. Je me déplace...

De quoi vous réjouissez-vous ?
De me demander quelles nouvelles rencontres humaines m'attendent.

Quels sont vos projets cinématographiques ?
J'ai beaucoup d'idées. J'ai cinq projets de films, mais cherche encore le producteur... J'aime les faits-divers que publient les journaux, et j'y trouve souvent le thème de mes films. J'ai ainsi, en tête, plusieurs thèmes : la métamorphose, les murs qui tombent, révolution des enfants, un crime commis par un enfant, Jack l'Étrangleur, le rapport entre un enfant qui découvre une nouvelle comète et la disparition d'un Japonais moyen (peut-être devenu cette comète). J'ai aussi envie de réaliser un film en Europe.




Vos films sont chargés de symboles que l'on retrouve, de "Jetons les livres»»." à "Cache-cache pastoral". Il y a les rails les horloges, l'adolescent violé, la mère. Pouvez-vous nous en parler ?
Les rails sont, pour moi, une chose très triste : le bonheur pour les êtres, consiste à se rejoindre, or les rails ne se rejoignent jamais... Pour ce qui est des horloges, depuis mon enfance, j'étais conditionné par elles à travers la famille, la terre; aussi, je voulais condamner les horloges et avoir "mon heure à moi"... Quant à l'adolescent violé, il se peut qu'on puisse devenir adulte en violant mais, en ce qui me concerne, je ne pouvais qu'être violé. Mais dans le prochain film, peut-être, le garçon violera... Et la mère, la mère est comme la coquille de l'œuf ; pour que le poussin sorte, il faut la briser! Au Japon, le matriarcat est très puissant, le père a démissionné, il est souvent mort à la guerre. Bien sûr, ce n'est que ma conception, mais je crois que cela continue. Même dans la religion japonaise, il n'y a pas de dieu qui représente le père. En Occident, c'est l'élevage qui l'emporte, et c'est un principe paternel. Le Japon, lui, a été un pays d'agriculture, qui ressemble à la matrice maternelle. Parfois, au Japon, on appelle le corps maternel le "champ". Et "Cache-cache Pastoral" évoque la terre, 1a culture, les saisons, le renouveau, la floraison, la Mère...


Propos du machino



"Ah! qu'il est doux de se faire gonfler...", qu'elle disait, la Femme-ballon.
Oui, mais quel mal on a eu ! Le plus difficile, c'est pas l'enveloppe gonflable du sur mesure, quoi. Non,c'est plutôt de confectionner la robe qu'elle a dû mettre par-dessus, a cause de la censure. II fallait
pas qu'elle craque pendant l'extase...

   
Ô blanche main dont l'index impérieux nous guide sur le chemin de la vie... Tu parles! Pour la déplacer pendant le tournage, on a dû s'y mettre à deux* Et on n'est pas faiblards !



2 m 50 de long sur 1 m 50 de large, une boîte d'allumettes qui contient aussi des filles. Amours, délices, flammes...

 Pour avoir un beau bébé, il faut compter, disons...neuf mois. En plus, il vaut mieux être ce qu'on appelle une femme. Tandis que le nôtre, de bébé, un qu'on jette après usage, il a été fait, vite fait, très vite fait par un homme, un vrai. Vous savez bien, le décorateur...

Ça paraît pas, mais rassembler une dizaine d'horloges vieux modèle, c'est pas du tout évident. Surtout dans un coin aussi paumé.Forcément, vous savez bien que le Japon est un pays tout ce qu'il y a de moderne, comme qui dirait industrialisé, que là-bas c'est l'horloge électronique, à transistor et tout, qui s'est répandue jusqu'au fin fond de la province. Non mais c'est vrai..




Poème



s'il est un quartier
pour le bois ou le riz
pour la foi ou la mort
hirondelle où est celui
des vieilles mères a vendre

au cache-cache
de la vie je suis resté
celui qui cherche
qui n'en finit pas de chercher
dans le village en fête

jetées en flammes
dans l'eau trouble d'un torrent
les amaryllis
feront de leur éclat rouge
l'offrande d'un sacrifice

pour ensevelir
le peigne rouge sang
de ma défunte mère
au Mont de l'effroi je vais
ou sans fin souffle le vent

dans la boîte à ouvrage
le temps a passé
sans qu'une aiguille
entre ma mère et moi ne pût
refermer la déchirure

promise à la vente
l'horloge soudain
se met à sonner
que sous mon bras j'emporte
à travers la plaine morne

lorsque pour mieux voir
je m'apprête à me couper
le coin des paupières
sur la lame du rasoir
se reflète l'horizon

se détachant
des cheveux d'une fillette
ces fleurs empruntées
aux couronnes mortuaires
ont aussi leur langage

jeune milan chante
et toi grillon funèbre
de Shimokita
puisse ma mère dormir
quand je l'abandonnerai

seul don qu'elle fit
à son ménage voici
l'autel familial
à ce point frotté qu'un oeil
de verre s'y peut mirer

des tablettes
funéraires de mon père
les traces de mes doigts
tristement se détacheront
pour s'envoler dans la nuit

afin d'acheter
un nouvel autel familial
ils sont partis
disparaissant à jamais
mon petit frère et l'oiseau

à demi fumée
cette cigarette pointée
vers le nord
où dans l'obscurité là-bas
s'efface mon pays natal

(traduction Alain Colas)


samedi 5 septembre 2009

Les Funérailles des roses (Bara no sôretsu, 1969) de Toshio Matsumoto

La mythique maison de production japonaise ATG (Art Theater Guild), éditait un livret pour présenter ses productions. Ici, celui du sublime film de Toshio Matsumoto Bara no sôretsu.
Je n'ai scanné que la couverture, le port-folio et quelques pages illustrées, mais le livret comprend également le scénario du film et plusieurs textes.















Bonus : l'affiche japonaise de Week-End de Godard en 4e de couverture.



mardi 28 juillet 2009

Spectre (The Boogeyman, 1980) d'Ulli Lommel





Ulli Lommel est un cinéaste étrange qui a commencé sa carrière avec Fassbinder pour qui il fut acteur (L'Amour est plus froid que la mort, 1969). Son second film en temps que réalisateur, La Tendresse des loups (Die Zärtlichkeit der Wölfe, 1973) s'inspire des crimes de Fritz Haarmann, le boucher de Hanovre, interprété par Kurt Raab. Aux Etats-Unis, il tourne le film underground Blank Generation sur la scène punk (à ne pas confondre avec le film éponyme d'Amos Poe), dans lequel apparaît Andy Warhol, puis en collaboration avec sa compagne, Suzanna Love, s'oriente vers le film d'horreur. Il réalise actuellement pour la vidéo des films inspirés de cas de tueurs en série (Green River Killer - 2005, Curse of the Zodiac - 2007) semble-t-il atypiques et très critiques envers la société américaine.




Sombres pâturages

Halloween. Des enfants masqués cavalent dans les champs au crépuscule. Un prêtre, figé comme un épouvantail, les regarde passer en souriant. Mais son sourire n'a rien de rassurant. On imagine volontiers qu'il leur enseigne moins les évangiles qu'un culte impie, forcément impie. Comme dans un cauchemar, le prêtre court avec les enfants. Ambiance de folie et de perversion. L’étrange équipée entre dans une maison et…. ni le prêtre, ni les enfants ne reviendront par la suite.
(Ce petit préambule n'est pas présent dans la version cinéma, en tous cas française.)


Spectre 1
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Le Malin

Des enfants, petits chasseurs de la peur, épient derrière une fenêtre leur mère et son amant. Dans ce salon, bien plus allemand qu'américain, se joue un kammerspiel poisseux : la femme en déshabillé, l’amant en tricot de peau, la bouteille de bourbon... Lommel construit son prologue comme un mauvais rêve freudien. Le visage déformé par un bas, l’homme attrape le garçon et le ligote pour le punir de son voyeurisme. Mais un couteau de cuisine circule, tranche les liens de l'enfant et se plante dans le dos de l'amant... Trauma originel, base de tout slasher.


spectre 2
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Comme des enfants perdus



Bien qu'ils soient devenus adultes, Lacey et son frère Willy sont restés des enfants apeurés qui ne parviennent pas à se séparer. Le garçon n'a plus prononcé un mot depuis le meurtre de son tortionnaire. Solitaire, ombrageux, il lutte pour résister à l'éclat des couteaux. Quant à sa sœur, elle est devenue une belle jeune femme mais toujours mélancolique. Parfois, au cours de séances de psychanalyse une autre voix parle par sa bouche.



Une lettre de leur mère qui désire les revoir avant sa mort déclenche le retour du mal et de la mort enfouis dans leurs souvenirs.
Pourtant, cette mère, les enfants n'iront pas à sa rencontre.


Les miroirs n'oublient jamais

Dans la maison d'enfance, de l'autre côté du miroir, le croquemitaine attend l'heure de sa libération. L'image est belle et terrifiante. L'homme sans visage, l'unheimlich malveillant, se dissimule dans l'inconscient et s'en échappe lorsque le miroir est brisé... chaque éclat devient le foyer de la hantise et palpite de méchanceté. Le spectre hante alors la petite contrée et les meurtres s'enchaînent, dans les granges, au bord des lacs...


spectre 3
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Belle à faire peur



Dans la cuisine, les forces télékinésiques se déchaînent. Un morceau de miroir se plante dans l'œil de Susanna Love qui devient cette superbe méduse, l'image interdite qui fait saigner ceux qui la regardent. Elle irradie et projette ses faisceaux comme si elle concentrait tous les pouvoirs destructeurs de l'image taboue, originelle : la mère faisant l'amour, source de ce cycle de sang et de terreur.


spectre 4
envoyé par 2sadakobanana -


Finalement, Lacey et Willy remportent la victoire sur les spectres du passé. Alors apaisés, ils peuvent se recueillir sur la tombe de leur mère.
Pourtant, comme dans La Reine des neiges d’Andersen, il reste un dernier éclat du miroir prêt à se planter dans le cœur des enfants pour obscurcir leur âme et les plonger dans un monde de tristesse et de cauchemar.

lundi 27 juillet 2009

"Dans les griffes de la Hammer" de Nicolas Stanzick





Une passion cinéphile


Le livre de Nicolas Stanzick fait revivre une époque où, à quelques kilomètres de Londres, était produit le meilleur du cinéma fantastique mondial. Les monstres mythiques, sous les traits de Peter Cushing et Christopher Lee, n'avaient qu'à franchir la Manche pour envahir une France encore très conservatrice.


L'ambition de Dans les griffes de la Hammer est double : relater l'histoire du studio mythique mais aussi celle de la cinéphilie fantastique qui nait en cette fin des années cinquante.
L'auteur date la naissance de la cinéphilie fantastique française avec la distribution en France des premiers films de la Hammer. Les classiques de la Universal avant guerre ne suscitèrent par exemple aucun écho particulier chez les cinéphiles. Interdits de distribution pendant l'Occupation, les séries Frankenstein et Dracula restèrent longtemps inédites en France. Leur seule trace résidait dans les souvenirs de spectateurs de l'époque tels ceux du fantasque Jean Boullet, un des premiers spécialistes français du genre. James Whale et Tod Browning étaient alors majoritairement absents des histoires du cinéma, dont celle, très respectée, de George Sadoul. Seul Ado Kyrou, dans Le Surréalisme au cinéma dresse un portrait affectueux des monstres, dont il fait des symboles de L'Amour fou. Mais pour Kyrou, le Fantastique est d'abord un élément du Surréalisme, mouvement respecté mais déjà ancien pour les jeunes cinéphiles qui reçurent de plein fouet le choc des Hammer Films.


Les enfants de la nuit
  




Si Frankenstein s'est échappé fit office de détonateur en 1957, c'est Le Cauchemar de Dracula en 1959 qui signe l'explosion d'un auteur, Terence Fisher et d'une maison de production, la Hammer. Les deux films révèlèrent également deux acteurs charismatiques appelés à devenir le couple le plus célèbre du cinéma fantastique : Peter Cushing et Christopher Lee. Si Cushing fascine encore par la richesse de son jeu, capable de passer en un instant d'une retenue toute britannique à une violence excessive, Lee révolutionna la figure du vampire, lui apportant un érotisme sauvage inédit.
Les jeunes cinéphiles, pour la plupart mineurs à une époque où la majorité était fixée à 21 ans, fondèrent alors en 1962 la revue Midi-Minuit Fantastique comme ils auraient pu, quelques années plus tard, monter un groupe de rock.
L'analogie entre le Fantastique et la Pop anglaise est d'ailleurs évoquée à maintes reprises dans le livre de Nicolas Stanzick : la Hammer anticipa le vent de libération que les Beatles et les Rolling Stones allaient bientôt incarner. Les rédacteurs Michel Caen, Alain Le Bris, Jean-Claude Romer et le "précurseur" Jean Boullet, nommèrent la revue en hommage à une célèbre salle parisienne, le Midi-Minuit spécialisée dans le Fantastique mais aussi l'érotisme. Symbole du mouvement naissant, Terence Fisher, se voit consacrer le dossier de ce premier numéro et une très agressive couverture tirée de La Nuit du loup-garou (1961). La cinéphilie fantastique, portant alors le nom de "midi-minuisme", était née. Le "midi-minuiste" se définit alors comme un dandy élevant au rang d'oeuvre d'art des objets honnis. Même si leur influence fut moindre, les amoureux du cinéma fantastique rejoignent le geste d'un Truffaut défendant le statut d'auteur d'Alfred Hitchcock.



De Dracula à Mai 68




Si la Hammer et Terence Fisher sont désormais reconnus comme des acteurs importants de l'histoire du 7e art, le "midi-minuisme" demeure un mouvement mal connus. La cinéphilie fantastique aurait-elle encore "mauvais genre" ? Et que dire de ses lieux de prédilections, ces salles de quartiers longtemps considérés comme des coupe-gorges ou des repères de dépravés?
Ainsi, lorsqu'Antoine de Baecque en 2005 consacre un ouvrage historique à la cinéphilie française, c'est encore la rivalité entre les Cahiers du Cinéma et Positif qui est largement évoquée, au détriment de courants plus avant-gardistes tels le "midi-minuisme".
Pourtant, comme le note justement Nicolas Stanzick, les différentes familles de la cinéphilie française des années 60 obéissaient à une dynamique équivalente. Alors que les "jeunes turcs" des Cahiers tenaient leur quartier général à la CF et les journalistes de Positif au Mac-Mahon, les "midi-mnuistes" hantaient la salle du même nom et les "temples" du Fantastique, tels le Colorado ou le Brady. Dans les griffes de la Hammer dresse une cartographie allant des Grands Boulevards à Pigalle, passant par le Quartier latin et s'aventurant même Avenue de la Grande Armée. Ces salles des quartiers populaires ou étudiants s'opposaient aux Champs-Elysées où s'affichait le cinéma traditionnel. De là à dire que le fantastique a anticipé la révolte contre l'ordre établi qui explosera en 68, il n'y a qu'un pas que l'auteur n'hésite pas à franchir. Les couleurs flamboyantes de la Hammer, ces grandes "messes rouges" du sang et de l'érotisme, tranchaient assurément avec la grisaille de la France gaulliste.
De multiples témoignages des premiers spectateurs des films de la Hammer nous font ressentir la véritable révolution qu'a pu représenter un tel cinéma. Si la violence cinématographique se mesure aujourd'hui à l'aune de classiques tels que La Horde sauvage de Peckinpah ou Orange mécanique de Kubrick, le spectateur de 1957 ne disposait d'aucun repaire. Rien ne pouvait préparer aux interventions chirurgicales de Frankenstein ni à l'érotisme trouble de Dracula. Pour la première fois également le sang, en tant qu'élément horrifique, apparaissait en couleur. Ce qui fut alors jugé par les critiques français ne fut pas l'indéniable beauté de la production, ni le talent de Terence Fisher mais bien le Fantastique et l'horreur comme genres scandaleux. Quels furent les motifs d'une aussi virulente résistance française au genre, s'interroge Nicolas Stanzick ?


Une bataille d'Hernani




La très riche documentation critique rassemblée par l'auteur permet de comprendre quel fut le climat hostile qui acceuillit les films de la Hammer. Les productions anglaises suscitèrent une incroyable levée de boucliers autant chez la critique de droite que de gauche. La très influente Centrale, classant les films autorisés pour les catholiques, voyait dans la Hammer le creuset de toutes les perversions. Même la victoire du Bien, obtenue par des moyens violents parfois dignes de l'inquisition, ne pouvait excuser la séduction dont le mal était paré. L'un des héraults de cette croisade contre les films Hammer fut le magazine Radio-Cinéma-Télévision, qui deviendra plus tard Télérama. Cet organe de la gauche catholique conservera longtemps son mépris envers le genre jusqu'à devenir la bête noire de plusieurs générations de cinéphiles. Quant à la critique de gauche, tendance PCF, elle était soit condescendante, considérant les films comme des enfantillages, soit hostile jugeant que le Fantastique détournait les spectateur des horreurs réelles du Monde.
Bien que, dans le sillage de la Hammer, le film d'horreur se développa en Italie et en Espagne, seule la France resta imperméable au genre. Sorti en 1960, Les Yeux sans visage de Franju aurait du poser en toute logique le premier jalon de la production française mais l'expérience resta sans suite. Le succès des productions Hammer aurait pourtant été l'occasion rêvée pour les cinéastes français d'explorer leur propre patrimoine fantastique. Un exemple parmi d'autres : un livre aussi célèbre que Le Fantôme de l'opéra de Gaston Leroux, dont on connait les versions de Rupert Julian, Arthur Lubin, Terence Fisher et récemment Dario Argento, ne bénéficie d'aucune adaptation dans son pays d'origine.
Le livre tente d'apporter quelques réponses, en particulier celle d'une tradition cartésienne française peu apte à se laisser aller au fantastique et à légitimer des productions faisant appel aux sentiments "irrationnels" de la terreur et du désir.


Le crépuscule des monstres




Aujourd'hui, il apparaît inconcevable que les films de Terence Fisher aient été à ce point minorés par une critique qui n'hésitait pas à saluer les petits maîtres du western comme Budd Boetticher. Il faudra attendre bien des années pour que s'opère, après 1968, un revirement critique et que, jusque dans les pages des Cahiers du Cinéma et de Positif, les beauté de l'oeuvre de Terence Fisher, sa cohérence et son intelligence soient reconnues comme telles. Pourtant, à l'instant même où le sigle Hammer devenait un gage de qualité, la firme était déjà sur le déclin. Une nouvelle génération de cinéphiles fantastiques ne tarda pas à émerger au cours des années 70 avec comme nouveaux héros John Carpenter, David Cronenberg ou encore Dario Argento. Pour la "vénérable maison" vint le temps des rétrospectives au Festival du film fantastique de Paris, puis, récemment, son entrée au musée grâce à la rétrospective que consacra la Cinémathèque française à Terence Fisher.
De l'apogée de la Hammer à sa chute, l'auteur dresse le portrait de deux générations d'amoureux du fantastique qui rencontrèrent à travers les films de Terence Fisher, John Gilling ou Roy Ward Baker un certain idéal cinématographique. C'est avant tout l'histoire d'une passion que relate Nicolas Stanzick.


Stéphane du Mesnildot





NB: La lecture de Dans les griffes de la Hammer pourra être complétée par la biographie du fascinant Jean Boullet par Denis Cholet (ed. Feel, 1999) et au long dossier consacré à Jean-Pierre Bouyxou, autre défricheur du cinéma-bis, dans le numéro 77-78 de la revue Lunatique (ed. Eons, 2008).


Dans les griffes de la Hammer
, Nicolas Stanzick, ed.Scali, 464 pages, 29€.

Christopher Lee dans Frankenstenstein s'est échappé (The Curse of Frankenstein, Terence Fisher, 1957)
Christopher Lee dans Dracula, Prince des ténèbres (Dracula, Prince of Darkness, Terence Fisher, 1966)
Peter Cushing dans Les Sévices de Dracula (Twins of Evil, John Hough, 1971)
Affiche de La Fille de Jack l'éventreur (Hands of the Ripper, Peter Sasdy, 1971)
Madeline et Mary Collinson dans Les Sévices de Dracula (Twins of Evil, John Hough, 1971)


samedi 25 juillet 2009

Le Vampire d’Ornella Volta (1962)




Le Vampire d’Ornella Volta (1962) fait partie de la « Bibliothèque Internationale d’érotologie », collection dirigée par JM Lo Duca et éditée par Jean-Jacques Pauvert. Dans ces livres carrés, de la taille exacte d’un 45 tours, on trouve également L’érotisme au cinéma de Lo Duca et Les Larmes d’Eros de Bataille. Le Vampire est l’un des chefs-d’œuvre de la collection. Le texte est somptueux et érudit et les images forment une suite onirique juxtaposant avec liberté les époques et les genres. Boris Karloff côtoie les sacrifices aztèques, Luca Signorelli converse avec Clovis Trouille, Alberto Martini rejoint Tod Browning.
Le vampire normé et son folklore n’occupent finalement qu’une place réduite dans le livre d’Ornella Volta, dont il faut surtout rappeler le sous-titre : « la mort, le sang, la peur ». On y parle des morts qui reviennent, des rites pour conjurer leur ressentiment, des fantasmagories liées aux univers parallèles des cimetières, des cryptes, des nécropoles… et des salles de cinéma. Dans ces lieux, on ne repose jamais en paix : on y marche, on s’y égare et on y fait surtout beaucoup l’amour, entre morts, entre vivants, entre vivants et morts.
Le vampire pour Ornella Volta représente l’incarnation même du fantastique, vu selon la tradition surréaliste comme une rupture avec l’ordre établi.

Avant-propos du Vampire par Ornella Volta :

"Dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, G. Tourdes définit ainsi les « marques du tempérament érotique » : « Un visage effilé, des dents aigües et éclatantes, beaucoup de cheveux, une voix, un aspect et une expression particulière, et même une odeur caractéristique ».
Le vampirologue anglais Montague Summers fait remarquer que cette description conviendrait aussi bien au vampire.
le vampire, en effet, est, avant tout une création érotique. La « victime », envoûtée, mise en étât de transes par son partenaire, dont elle aime toujours l’agression, le voit comme un monstre irrésistible : « l’homme n’est peut-être que le monstre de la femme, ou la femme le monstre de l’homme » disait déjà Mlle de Lespinasse.
Ce monstre aspire sa vie, son souffle, son sang : il est d’apparence humaine, mais ses pouvoirs presque divins, le rendent inhumain en même temps. Il appartient à notre monde mais aussi à un autre : serait-il un mort ?
Le sang et la mort, l’érotisme et la peur sont les composants de l’univers vampirique.
le vampire représente le possible dans l’impossible, la vie qui est possible dans la mort, la mort qui entre, elle une présence vivante, dans la vie. Il représente l’aspiration la plus profonde de l’homme : survivre à sa mort. Il concrétise son angoisse. Violeur de tous les tabous, il réalise ce qui se situe à la pointe la plus extrême du défendu.
Suivant l’érotisme jusqu’à sa dérivation la plus monstrueuse, jusqu’à sa signification la plus profonde, résoudrons-nous le problème de la mort, apprendrons-nous à vivre dans la mort ?"

 



Magritte : La Gâcheuve (1935)
D'Esparbès : Histoire d'amour (1927)
Alberto Martini : La Vénus exhumée (détail)
Valentine Hugo : Rêve du 21 décembre 1929.
Carol Borland dans The Mark of the vampire (Tod Browning, 1933)

vendredi 24 juillet 2009

L’Enfer (Jigoku, 1960) De Nobuo Nakagawa

Japon 1960, version infernale



En 1959, Nobuo Nakagawa adapte Tôkaidô Yotsuya Kaidan (litt. Les Fantômes de Yotsuya à Tôkaidô), le plus célèbre récit de fantôme du théâtre kabuki. A la façon d'un Terence Fisher, dont il serait l'équivalent lointain, Nakagawa est un cinéaste de studio qui, à un âge déjà avancé, se révèle dans le Fantastique. Nakagawa s'empare d'un genre traditionnel, ici le kaidan eiga (film de créatures de l'au-delà), qu'il rénove profondément. Cette modernité s'ancre autant dans les couleurs morbides et les visions sanglantes, que dans un existentialisme le rapprochant de Masumura ou Oshima. Le plan final, fataliste et lugubre, des Contes cruels de la jeunesse, réunissant dans la mort le visage des deux amants, pourrait être tiré d'un film de Nakagawa.



Dans Tôkaidô Yotsuya Kaidan, Iemon un samouraï déclassé, amer et violent, empoisonne Oiwa, sa femme, pour convoler avec une riche héritière. Possédé par le fantôme d'Oiwa, il tue sa nouvelle épouse le soir même de ses noces, perdant toute chance de regagner son rang. Fuyant dans un monastère, il ne parviendra pas à échapper à la vengeance du spectre. Nakagawa fait de Iemon un être profondément nihiliste mais dénué de toute grandeur tragique. Samouraï désargenté à la fin de l'ère féodale ou étudiant désœuvré au sein du "miracle économique", le héros des films fantastiques de Nakagawa échoue à trouver sa place dans le monde.
Également interprété par Shigeru Amachi, Shirô, l'étudiant blafard de Jigoku (L'Enfer, 1960), s'inscrit dans la continuité du samouraï hanté. Dans la voiture de son camarade Tamaru, un "tricheur" tokyoïte faisant office de mauvais double, Shirô est complice de la mort accidentelle d'un jeune yakuza. En refusant d'assumer son acte, Shirô entre dans un monde gouverné par l'absurde où ni la vie ni la mort n'ont de sens. Ainsi sa fiancée Yukiko, la fille de son professeur de philosophie, meurt elle-aussi peu après dans un accident de voiture. Le soir des funérailles, il couche sans le savoir avec la maîtresse du yakuza, une hôtesse de bar. Appelé au chevet de sa mère, il fuit à la campagne et rencontre le sosie exact de Yukiko qui se révèle sa sœur cachée. Cette spirale d'événements étranges et violents trouve son apothéose à la 60e minute du film : tous les personnages, dont les vingt pensionnaires d'une maison de retraite, succombent de diverses manières et se retrouvent en enfer.



Pendant les 40mn qui suivent, Jigoku explore un territoire sans balises, entre la comédie musicale minnellienne, portée par un jazz strident, le cinéma gore dont il serait le fondateur méconnu (mieux que le médiocre Hershell Gordon Lewis) et le film d'avant-garde, les images déformées rappelant La Folie du docteur Tube d'Abel Gance.
Dans Tôkaidô Yotsuya Kaidan, les spectres se signalaient d'abord dans notre monde par un léger souffle faisant palpiter la flamme des lanternes. Le monde, perdant forme et solidité, se réduisait alors à de purs phénomènes optiques, à des lumières et des couleurs errantes, détachées de toute sources ou origines. Iemon, au summum de sa hantise, entrevoyait l'enfer comme la réduction du monde à une seule intensité, aveuglante et douloureuse : un monochrome rouge occupant tout l'écran.
Cette dimension picturale du cinéma de Nakagawa devient le sujet même de Jigoku : un tableau, peint par un des pensionnaires de l'hospice, représente déjà les paysages fantastiques où les personnages iront s'échouer.



Après s'être inspiré pour Tôkaidô Yotsuya Kaidan du kabuki et des estampes fantastiques de l'ère Edo, Nakagawa s'inscrit dans la tradition des jigoku-e bouddhistes du XIIe siècle, peintures "infernales" dont il reproduit l'imagerie naïve et les couleurs hallucinées. Les damnés plongent dans des lacs de feu et de sang, ont la peau arrachée ou les membres brisés. A ce monde de souffrances physiques sans pardon, répondent d'immenses plaines désertes, enfers glacées et bleus de la solitude et du remord.



Cette masse de damnés errant dans les ténèbres, ces pantins opprimés par des colosses, ces morceaux de corps anonymes plantés dans la terre, sont bien sûr l'anamorphose de la société japonaise où, comme le notait Yasuzô Masumura, "ni l'individu ni la liberté n'existent".
Stéphane du Mesnildot

Publié dans Vertigo n°33, Spécial Japon (2008)