samedi 21 mai 2011

Romain Slocombe au Monte-En-l'air



 












Du 20 mai au 7 juin 2011
Le Monte-En-l'air
71 rue de Ménilmontant /
2 rue de la Mare
75020 Paris


vendredi 20 mai 2011

J-horror 4 : "Duo en hommage au Japon", performance de Yôko Higashi et Lionel Marchetti




Yôko Higachi rejoint cette mélancolie dont parle Chris Marker dans Sans soleil en citant Samura Koichi : «Qui a dit que le temps vient à bout de toutes les blessures ? Il vaudrait mieux dire que le temps vient à bout de tout, sauf des blessures. Avec le temps, la plaie de la séparation perd ses bord réels. Avec le temps, le corps désiré ne sera bientôt plus, et si le corps désirant a déjà cessé d’être pour l’autre, ce qui demeure, c’est une plaie sans corps.»

Le butô est-il une plaie sans corps ?



Elle est à la fois un androïde dont la fonction aurait été perdue et qui ne serait plus qu’une mécanique emballée, vide de sens. Et un fantôme qui viendrait d’une terre empoisonnée, celle où les bêtes irradiée meurent, sans même savoir pourquoi.
Elle étouffe, s’asphyxie. L’air est devenu irrespirable. Elle ne peut plus tenir debout et a perdu toute stature humaine : elle descend un escalier à l’envers rampe sur le sol, comme si elle était devenu un animal d’une autre espèce.
Enfin elle hurle alors que les ténèbres se referment autour d’elle. Le Cri de Munch qui résonnait à travers le siècle passé ne s’est toujours pas tu. On peut l’entendre dans le silence de Fukushima.




le site de la rétrospective J-horror :

jeudi 19 mai 2011

J-horror 6 : Mujina




Le fantôme de Beautés ensorcelées de Norio Tsuruta, écho de Mujina, le fantôme sans visage du conte de Lafcadio Hearn.

J-horror 5 : Ghost Actress (Hideo Nakata, 1996)



Ghost Actress est bien entendu une fascinante répétition de Ring puisqu’on y trouve un énigmatique film surnaturel et un spectre qui sort des images pour hanter le monde réel. Mais Ghost Actress est aussi une œuvre singulière où Nakata et le futur scénariste de Ring, Hiroshi Takahashi creusent par la hantise plusieurs strates de l’histoire du cinéma japonais.
De la J-horror, il retient une image sans apprêt, un peu plate et télévisuelle. Le film que tourne Toshio Murai, le cinéaste hanté, est un mélodrame inspiré de ceux que tournait Hideko Takamine dans les années 50 ; un film de femmes cernées par les cadavres de la guerre (une des jeunes femmes lave ses pinceaux dans une rivière et le rouge de la peinture se mélange au sang d'un soldat ; le mort nait de la couleur, tout comme le fantôme naît de l'appareil de projection). Et, venant voiler ces images soignées et irisées, les sombres rushes fantômes sont ceux d’un film gothique des années 70, dans la tradition des adaptations de Seishi Yokomizo par Kon Ichikawa (La famille Inugami). 
Hideo Nakata a-t-il compris, dès son premier long métrage, quelle serait sa malédiction ? Celle d’un cinéaste de mélodrame piégé par le succès surprise d’un film d’horreur à petit budget. Comme le fantôme de Ghost Actress qui entraîne Toshio Murai dans l’au-delà, Sadako a emprisonné Nakata dans un genre pour lequel il a souvent avoué sa réticence. Pourtant Nakata saura inverser le sortilège : avec Dark Water, il tournera un nouveau film de fantôme mais signera surtout un chef-d’œuvre du mélodrame, un «film de mère» ou «haha mono».
Les eaux sombres où flotte dans sa solitude Mitsuko Kawaï, la petite fille fantôme, sont avant tout les larmes des enfants abandonnés.   



Le Spectre de l’actrice 女優霊 (joyû­rei)
de Hideo Nakata / 75’ / Avec Yûrei Yanagi, Yasuyo Shirashima, Kei Ishibashi, Toshie Negishi, Ren Ôsugi, Takanori Kikuchi
Toshio Murai est réa­li­sa­teur. En vision­nant une scène qu’il vient de tour­ner, il remar­que des ima­ges étranges qui sem­blent appar­te­nir à un autre film. Les ima­ges lui évoquent un sou­ve­nir loin­tain, sans qu’il sache de quoi il s’agit. Le tour­nage se pour­suit, mais d’étranges inci­dents se suc­cè­dent.

le site de la rétrospective J-horror :
http://www.mcjp.fr/francais/cinema/le-cinema-japonais-au-surnaturel-231/le-cinema-japonais-au-surnaturel

mercredi 11 mai 2011

J-horror 3 : House (Nobuhiko Ôbayashi, 1977)



Voilà une bien étrange histoire de fantôme où des poupées d’écolières japonaise (la coquète, la sportive, la gourmande, l’imaginative, la musicienne) sont prises au piège d’une maison qui les désarticule et fait danser leurs membres. L’âme mauvaise de la maison est la tante de la coquète qui veut posséder le corps de sa nièce car elle-aussi est le jouet d’une triste malédiction : elle attend le retour de son fiancé mort au front. Et dans l’espoir de le voir revenir, elle doit s’incarner dans un autre corps, plus jeune.
House est bien sûr le chef-d’œuvre pop du cinéma japonais des années 70, fourmillant de tant d’idées folles qu’on ne pourrait toutes les énumérer. Des ciels écarlates en technicolor, des femmes-chats venant des anciens kaidan-eiga de studio, des vrais chats mais tellement beau et blanc qu’on les croirait faux, des spirales psychédéliques, de l’érotisme aquatique, des têtes coupées d’écolières qui mordent les fesses de leurs camarades...
Pourtant la mélancolie est bien présente au cœur du kawaii. Ce qui vole son corps et son avenir à la coquète est une histoire dont elle est à peine consciente, celle de la guerre qui a volé les fiancés des femmes japonaises. Elle-aussi sera prise dans la malédiction, à jamais enfermée dans la maison, qui n’est peut-être que le Japon en tant que domaine hanté.


House  ハウス  (hausu)
de Nobuhiko Ôbayashi / 88’ / Avec Kimiko Ikegami, Kumiko Ôba, Ai Matsubara, Miki Jinbo, Mieko Satô, Masako Miyako

Le site de la rétrospective J-horror :
http://www.mcjp.fr/francais/cinema/le-cinema-japonais-au-surnaturel-231/le-cinema-japonais-au-surnaturel

samedi 7 mai 2011

J-horror 2 : Cold Fish (Sono Shion, 2010)


Shion Sono à ces débuts étaient considéré comme un cinéaste fourmillant de bonnes idées mais pas forcément très rigoureux dans sa mise en scène. On reconnaissait, après Suicide Club, qu’au moins il était très doué pour commencer un film. Le génial Love Exposure a largement changé la donne, faisant de Shion Sono l’un des foyers les plus incandescents du cinéma japonais actuel, et sans doute l’un des cinéastes les plus libres du monde.
Le cinéaste à l’imagination tumultueuse a magnifiquement progressé dans l'art de la mise en scène, insufflant à ses visions une force lyrique et dramatique, les faisant évoluer sur le fil du rasoir du grotesque et du mélodrame flamboyant.
Cold Fish, réalisé pour la branche de la Nikkatsu Sushi Typhoon (instigatrice des frénétiques films gore de Nishimura), ne marque pas un sage retour au bercail des studios. L’histoire de ce modeste marchand de poissons vivants pris dans les filets d’un couple d’aigrefins assassinant de la façon sanglante et quasi cannibale leurs rivaux en affaire est une œuvre à la fois ultra-sanglante, ironique et émouvante ; soit le cocktail détonnant de Love Exposure. Shion Sono dans Cold Fish revient sur une de ses marottes : l’impossibilité de l’idée-même de famille, dont il fait une des structures de répression les plus violentes qui soient. la famille du petit marchand de poissons n’est que la version embryonnaire de celle du gros marchand de poisson... La fausse modestie, la soumission devant les lois sociales deviennent un appétit orgiaque pour l’argent, le sexe et le sang, profondément méchant, maléfique, et destructeur mais d’une liberté sadienne qui fait frémir.
Mitsuru Fukikoshi, qui joue le père de famille, est par ailleurs le troublant sosie de Shigeru Amachi, l’acteur fétiche de Nobuo Nakagawa. On se surprend alors à voir dans Cold Fish la continuité de l’existentialisme halluciné de l’auteur de Jigoku (L’enfer). Entrer dans un film de Nakagawa comme de Shion Sono signifie se retrouver dans un univers sans balises soumis aux métamorphoses les plus convulsives, mais toujours bouleversantes.


Cold Fish 冷たい熱帯魚 (tsu­me­tai net­tai­gyo)
de Shion Sono / 144’ / VOSTF / Avec Mitsuru Fukikoshi, Denden, Asuka Kurosawa, Megumi Kagurazaka, Hikari Kajiwara

Le site de la rétrospective J-horror :

J-horror 1 : Beautés ensor­ce­lées (Norio Tsuruta, 1996)


Premier jour de la rétro J-horror à la Maison de la culture du Japon, avec Beautés ensorcelés, un incunable de Norio Tsuruita écrit par Chiaki J. Konaka. Quatre  starlettes, attendant dans leurs loges le moment d’entrer en scène pendant une émission de télévision, se racontent leurs expériences surnaturelles. Leur particularité étant que toutes les quatre ont exercées des professions dans le monde des médias. Une maquilleuse de modèles pour photos érotiques est appelée pour farder une morte. Une présentatrice d’émission sur des phénomènes inexpliqués est agressée par le réalisateur transformé en vampire ; une assistante dans un studio d’enregistrement est propulsée dans un au-delà électronique ; une monteuse voit apparaître sur les images d’un drama anodin une femme vêtue de rouge.
Si l’on passe outre le mauvais goût ahurissant de la mode féminine au Japon dans les années 90, ces quatre sketchs sont des variations très amusantes sur les canons de la J-horror. Qui plus est par les deux auteurs à les avoir inventés. L’histoire de la monteuse est à cet égard des plus étranges puisque la femme en rouge (la star secrète de la première vague de J-horror, encore honorée par Kiyoshi Kurosawa) qui apparaît sur le moniteur ne cesse de se rapprocher de l’écran... avant d’apparaître dans le studio. Il suffira juste d’un léger raccourci pour imaginer un fantôme se rapprochant de l’écran d’une télévision et en sortant directement.

Beautés ensor­ce­lées 悪霊怪談 呪われた美女たち (aku­ryô kai­dan noro­wa­reta bijo tachi)
de Norio Tsuruta / 100’ / VOSTF / Avec Mika Yoshino, Rumi Mochizuki, Mari Tsutsumi, Misuzu Natsukawa, Ryûshi Mizukami, Naoya Ban

Le site de la rétrospective J-horror :

mercredi 20 avril 2011

Mystères à Twin Peaks



Je ne sais plus qui a tué Laura Palmer.
J’ai vu la série en 1991, elle s’appelait alors Mystères à Twin Peaks, lors de sa première diffusion, semaine après semaine, tous les épisodes.
J’ai longtemps gardé quelques VHS mais jamais je n’ai acheté les DVD. Il y avait quelque chose d’un peu triste de rassembler une fois pour toutes, en quelques disques, dans une petite boîte, ce qui avait occupé plusieurs mois de ma vie, à la fin de mon adolescence. L’esprit de Twin Peaks avait parcouru quelques œuvres : Donnie Darko, Black Hole… j’ai retrouvé aussi la frayeur causée par les apparitions de BOB dans la J-horror.
J’attendais que Twin Peaks revienne comme il était apparu : par les ondes. Ces mystérieux courants hertziens grésillants comme le panneau Lynch/Frost final. Je savais que ça allait arriver ce soir mais je n’avais pas encore décidé de le regarder. Mais c’est arrivé. Ça avait même commencé depuis quelques minutes : le proviseur de l’école en larmes annonçait la mort de Laura et Donna sa meilleure amie s’effondrait.
Bien sûr, une foule d’émotions sont revenues mais la plus poignante était de revoir ces visages presque oubliés (qui pense souvent à Hawk le policier indien ?). Le sheriff Truman, Ben Horne, Dale Cooper, Ed Hurley… et les filles : Donna, Norma, Audrey (surtout Audrey), Shelly…  et Laura. Et tout ces visages convoquaient une histoire à venir.
Mais surtout, ces acteurs n’ont pas fait grand chose en dehors de Twin Peaks, même Dale Cooper représente le sommet de la carrière de Kyle McLachlan. Tant mieux, cela les laisse intacts. L’impression, et pas la moins étrange (mais le monde est plein d’étrangeté) est qu’ils n’ont jamais quitté Twin Peaks, qu’ils n’étaient pas des acteurs mais les véritables habitants de cette petite ville.
On imagine très bien, au cours d’un voyage dans le nord des Etats-Unis, traverser en voiture une bourgade, et reconnaître les rues, la station-service, le commissariat. S’arrêter à un diner et les retrouver là : le sheriff Truman, et Norma qui sert le café, et Dale bien sûr qui poursuit son enquête… Ils n’ont, pour ainsi dire, pas vieilli.





dimanche 17 avril 2011

Fantômes du cinéma japonais




En 1999, Ring d’Hideo Nakata rendit mondialement célèbre la figure du fantôme japonais : une jeune femme désarticulée, aux longs cheveux de méduse tombant sur son visage. Pourtant Sadako n’est que l’ultime incarnation d’une figure essentielle de la culture japonaise traversant les estampes d’Hokusai, le théâtre Nô et Kabuki, la danse Butô, le cinéma ou les mangas. Elle est l’héritière des femmes-chats qui vengent leurs maîtresses assassinées et des épouses empoisonnées qui poursuivent de cruels samouraïs. Elle se nourrit de légendes urbaines : la femme défigurée qui terrifie les enfants à la sortie de l’école ou Hanako-chan, la fillette qui hante les toilettes des collèges. 
La J-Horror des années 90 et 2000 repeupla le Japon de fantômes : Sadako bien sûr mais aussi Asami, la femme fatale de Takashi Miike (Audition), la famille maudite de Takashi Shimizu (Ju-on/The Grudge), les âme errantes de l’Internet de Kiyoshi Kurosawa (Kairo) et bien d’autres encore. Loin de l’agitation et des néons de Shinjuku, ces cinéastes filmèrent les espaces déserts et glacés du Japon contemporain. Peut-on dire que les innovations de la J-Horror débordèrent le cadre du film de genre ? Ce «Japon spectral» semble singulièrement proche de celui des enfants abandonnés de Nobody Knows de Kore-eda, des salarymen à la dérive de Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa ou du couple infernal de Rebirth de Masahiro Kobayashi.
 L’ensemble est enrichi d’entretiens réalisés au Japon par l’auteur avec les créateurs majeurs de la fiction d’horreur nippone (Kiyoshi Kurosawa, Takashi Shimizu, Hideo Nakata, Norio Tsuruta, Chiaki J. Konaka), réunis pour la première fois dans un ouvrage en France.
Parution en juin 2011 aux éditions Rouge Profond.

Couverture : la danseuse et musicienne Yoko Higashi, photographiée par Jérôme Chapuis.

The Haunted de Joseph Stefano (1965)

Un germe méconnu de la J-horror




Circa 1965, à Tokyo, un petit garçon du nom de Hiroshi Takahashi regardait seul la télévision chez lui. Il tomba par hasard sur un film d’épouvante, une histoire de fantômes. L’enfant en fut terrorisé, en oublia le titre et presque toutes les images. Pourtant, le film s’immisça en lui et le hanta à jamais. Plus tard, le petit garçon devint le scénariste phare de ce que l’on appela la J-Horror ou horreur japonaise. On lui doit le scénario de Don’t Look up (1996) d’Hideo Nakata, où un cinéaste découvre sur ses rushes des images terrifiantes qui le ramènent à son enfance. Takahashi écrivit ensuite le scénario de Ring (1998), également de Hideo Nakata, où la cassette vidéo d’un film obscur, parcellaire comme un rêve, déclenche la mort de ceux qui la regardent. Ce que recherchait Takahashi et qu’il tenta de reproduire, n’était pas seulement les images du film de son enfance mais la sensation primale de la peur cinématographique.
Du film originel, Takahashi ne se souvient que d’une scène : « On voyait alors une porte, et une matière étrange, comme de la fumée, a traversé cette porte, et une femme a poussé un cri terrifiant. Après le cri on entendait en voix-off : « Et vous, croyez-vous aux fantômes ? » *" Des historiens parvinrent à identifier The Haunted a.k.a The Ghost of Sierra de Cobre  (1964), l’unique réalisation de Joseph Stefano, le scénariste de Psychose. Ce pilote d’une série télévisé qui vit pas le jour, se révéla tellement effrayant qu’il ne fut jamais diffusé, excepté au Canada... et au Japon.
Il n’en reste au monde que deux copies 16mm : l’une dans une université américaine, l’autre chez un collectionneur japonais. Leur rareté fait qu’elles ne sortent jamais de leurs pays et ne sont que très rarement projetées. Des problèmes de droits interdisent même une édition DVD.
Quant à Hiroshi Takahashi, il demeure ambigü sur l’identité du film-fantôme et n’a jamais voulu voir The Haunted. Veut-il en conserver intact le souvenir, de crainte de voir disparaître son inspiration ? Mais peut-être les historiens font-ils fausse route. Peut-être un véritable spectre est-il apparu à l’enfant pour le révéler à sa vocation artistique.
Stéphane du Mesnildot
* Entretien réalisé par l’auteur. Trad. Miyako Slocombe.




The Huanted
(a.k.a. The Ghost of Sierra de Cobre)
(1965) réalisé par Joseph Stefano
Producteur: Joseph Stefano. Scénario: Joseph Stefano.Image: William A. Fraker, Conrad Hall. Montage : Anthony DiMarco. Avec: Martin Landau, Judith Anderson, Diane Baker, Nellie Burt, Tom Simcox. 16mm, b/w, 52 min.

La page de Joseph Stefano à UCLA.

Un site sur The Outer Limits qui consacre plusieurs articles à The Haunted.

Le Cinéma japonais au surnaturel : les spectres de la J-Horror

 Du vendredi 6 mai au mercredi 1er juin 2011 
à la Maison de la culture du Japon (Paris)



En cette année 1998, ce fut d’abord comme une rumeur : un film japonais, réalisé par un inconnu, remportait un succès colossal, non seulement dans son pays d’origine mais à travers toute l’Asie. Il ne s’agissait pas d’un gros budget mais d’une série B d’épouvante, sans effet spéciaux ni hémoglobine, dont le final glaçait d’effroi les spectateurs : d’un écran de télévision émergeait un fantôme de jeune fille, vêtue de blanc. Ses longs cheveux tombaient sur son visage dont n’était visible qu’un œil dilaté qui pétrifiait ses victimes. Le titre même du film, Ring, était énigmatique.

Et de fait la rumeur s’avéra fondée : Ring d’Hideo Nakata n’était pas un film d’horreur comme les autres. Non content de revenir à des fondamentaux tels que la peur du noir et des créatures qui s’y dissimulent, il popularisa dans nos contrées un genre méconnu : le film de fantômes japonais. Ce qui intrigua les spectateurs occidentaux fut un rapport au fantastique très éloigné de notre pensée cartésienne. Les peuples d’Asie croient-ils d’avantage aux fantômes que les Occidentaux ? Cette question de la croyance, qui troubla nombre de critiques français à la sortie d’Oncle Boonmee d'Apichatpong Weerasethakul, se posait déjà pour le film d’épouvante japonais. La réponse se trouve peut-être dans les cimetières de Tokyo, comme celui d’Ikebukuro où repose le grand «fantastiqueur» Lafcadio Earn. A la différence des nécropoles occidentales, aucun mur ne sépare le cimetière du reste du quartier. Ainsi, à la nuit tombée, pur moment de poésie manga, on peut voir les écolières en costume marin rouler à vélo entre les tombes. Cette proximité des morts devient plus prégnante lorsqu’en juillet est célébrée O-bon, la fête des morts, équivalent de la Toussaint. Lors de ces étés bien souvent caniculaires, lorsque le soir apporte un peu de fraicheur, c’est le moment pour les Japonais de se raconter des histoires de revenants. C’est aussi la date rituelle des sorties de films de fantômes.

 Le kaidan eiga et les fantômes du passé

Sadako était ainsi l’ambassadrice d’une tradition mais aussi de toute une culture cinématographique. Ce que nous appelons J-horror se nommait autrefois kaidan eiga (film de créatures de l’au-delà). Dès l’aube du cinéma japonais, dans les années 1910, le kaidan eiga adapta les pièces de kabuki ou les récits de Enchô San-yutei et tira son imagerie des estampes et peintures fantastiques. L’équivalent de Sadako se nommait alors Oiwa. Sa triste destinée fut contée en 1825 par Tsuruya Namboku IV dans la pièce kabuki Yotsuya Kaidan (Histoire du fantôme de Yotsuya). Oiwa était la malheureuse épouse de Iemon, un samouraï déclassé souhaitant se remarier avec une riche héritière. Défigurée par son mari, clouée à une planche et jetée au fond d’un étang, Oiwa revenait d’entre les morts pour réclamer justice. Oiwa et ses sœurs (citons les étonnantes femme-chats vengeant leurs maîtresses assassinées, Yuki Onna la belle femme des neiges dont l’époux humain trahit le serment) exprimaient bien sûr la colère des femmes japonaises pliant sous le joug de la domination masculine.

Yuki Onna (Tokuzo Tanaka, 1968)

Si la légende d’Oiwa inspira nombre de cinéastes (Keisuke Kinoshita, Kenji Misumi, Tai Katô..), son plus brillant illustrateur reste Nobuo Nakagawa qui fut l’équivalent japonais d’un Terence Fisher ou d’un Mario Bava. Dans la version qu’il tourna en 1959 (en France, Histoire de fantômes japonais), les marais se teintent de rouge-sang et Oiwa se dresse, blafarde, dans la brume verdâtre. Les rares films de fantômes japonais à être arrivés jusqu’à nous, les prestigieux Contes de la lune vague après la pluie (1953) de Mizoguchi et Kwaidan (1964) de Masaki Kobayashi ne sauraient rendre compte à eux seuls de la richesse du genre, ni surtout de la violence macabre de son imagerie. Dans l’étonnant Jigoku (L’Enfer, 1960) de Nakagawa, tous les personnages (dont les 20 pensionnaires d’une maison de retraite) succombent à la 40e minute et se retrouvent aux enfers. On assiste alors à un festival de corps coupés en deux, de chairs brûlées et de damnés ébouillantés par de gigantesques démons écarlates. La modernité de Nakagawa s’ancre autant dans les couleurs morbides et les visions sanglantes, que dans un existentialisme le rapprochant de Yasuzô Masumura ou Nagisa Oshima (qui l’admirait). Le plan final, lugubre et fataliste, des Contes cruels de la jeunesse, réunissant dans la mort le visage des deux amants pourrait être tiré d’un film de Nakagwa.

Contes et légendes du Japon contemporain

Après l’aboutissement esthétique que représentèrent les films de Nakagawa, le genre s’éroda pendant les années 60. A ces histoires à la trame usée, les spectateurs préféraient les polars ironiques de Seijun Suzuki ou les aventures du rônin hanté Kiyoshiro Nemuri. La crise des studios aidant, le kaidan eiga disparut presque complètement des écrans à partir des années 70. La géniale comédie pop House (1977) d’Ôbayashi demeure une exception, mais il s’agit d’une parodie. Pourtant, les Japonais n’avaient rien perdu de leur goût pour le frisson et le surnaturel. Ils étaient friands des romans de Seishi Yokomizo (La famille Inugami) ou des mangas fantastiques de Kazuo Umezu (dont House reprend les ambiances gothiques). La fin des années 70 vit aussi l’émergence de célèbres légendes urbaines : la femme défigurée, que Chris Marker évoque dans Sans soleil, et qui taillade les enfants à la sortie de l’école, ou encore Hanako-chan, le fantôme des toilettes du collège. Les fantômes avaient tout simplement besoin d’opérer une mue, de quitter leurs kimonos et d’abandonner les marais méphitiques d’Edo pour gagner le Japon contemporain.

A l’origine de la renaissance, on trouve les scénaristes Chiaki J. Konaka et Hiroshi Takahashi et les cinéastes Norio Tsuruta, Kiyoshi Kurosawa et Hideo Nakata. Aucun n’était issu des circuits classiques : ils avaient fait leurs armes à la télévision, dans le V-cinema (distribution directe en vidéo) ou le film érotique à petit budget. La nouvelle vague de cinéma d’horreur commença discrètement avec une anthologie éditée en vidéo : Scary True Stories (Histoires vraies, 1991), écrit par Chiaki J. Konaka et réalisé par Norio Tsuruta. Les héroïnes de ces «terrifiantes histoires vraies» étaient des adolescentes kawaii croisant des écoliers ensanglantés dans les escaliers du collège, terrorisées par une femme en rouge dans un gymnase nocturne ou poursuivies par des nageuses fantômes dans les vestiaires de la piscine. Aussi modestes soient-elles en apparence, les histoires de Konaka et Tsuruta furent les premiers jalons d’un double projet : moderniser la figure du fantôme et mettre à l’épreuve du fantastique l’architecture bétonnée et impersonnelle du Japon contemporain.


Ju-on 2 (Takashi Shimizu, 2003)
Les cinéastes puisèrent également dans des formes populaires telles que les photographies de fantômes publiées dans les magazines à sensation ou les émissions reconstituant des phénomènes inexpliqués (Noroi (La Malédiction, 2005) de Kôji Shiraishi en est un pastiche). Cette culture sensationnaliste prenait d’une certaine façon la suite des récits fantastiques  colportés par les voyageurs qui constituèrent la base des premiers recueils folkloriques (Les Histoires qui sont maintenant du passé) ou du Kwaïdan de Lafcadio Earn. Pour son roman Ring, Kôji Suzuki profita de ce regain d’intérêt pour le surnaturel et inventa la légende urbaine d’une cassette vidéo qui tue 7 jours après son visionnage. La J-horror dénote également le goût de ses auteurs pour certaines mythologies obscures mêlant science et ésotérisme : la nensha (la photo psychique) dans Ring, le mesmérisme dans Cure (1997) de Kurosawa, le phénomène Shaver (croyance en un peuple souterrain contrôlant l’humanité) dans Marebito (2004) de Shimizu.

Au-delà de la J-horror

On aurait tort de réduire la J-horror à une nuée de spectres échevelés et voutés hantant les télévisions et les puits. Plus que l’épuisement d’un filon, le genre fut le terrain d’expérimentation d’une poignée de cinéastes cinéphiles, férus de littérature fantastique, dont les goûts rencontrèrent pendant une certaine période ceux du public. Après Ring, Hideo Nakata tourna Dark Water (2002), variation lugubre et déchirante sur le «haha-mono» (le genre du «film de mère») ; dans Kaïro (2001), Kiyoshi Kurosawa transforma les fantômes en créatures existentielles, symboles de la solitude dans un Tokyo déshumanisé. Asami, la femme fatale d’Audition (2002) de Takashi Miike, même si elle n’est pas à proprement parler une créature surnaturelle, en reproduit les attitudes et venge les femmes trompées et les enfants battus. Takashi Shimizu, le créateur de la série Ju-on (2000-2003), n’en finit pas de transformer sa maison hantée en laboratoire cinématographique, déstructurant le temps et l’espace autour des spectres de Kayako et de son fils Toshio.

Comme son prédécesseur des années 50, la J-horror connut un pic entre 2000 et 2005, avant de s’étioler, non sans avoir marqué le cinéma japonais même en dehors du film de genre.  Eureka (2000) de Shinji Aoyama, Nobody Knows (2003) de Hirokazu Kore-eda ou encore Rebirth (2007) de Yasuhiro Kobayashi, peignent un Japon crépusculaire, étouffant, qui est comme le pays des morts. En tournant Tokyo Sonata (2009), Kiyoshi Kurosawa met en pratique, dans un cadre social, son travail des formes fantastiques. Il filme un peuple invisible : les fantômes de la crise économique. Ces salarymen au chômage errent dans Tokyo, font la queue à la soupe populaire en costumes et attachés-case, et passent la journée dans les bibliothèques publiques.

Même si les films de fantômes ne constituent plus une manne aussi lucrative qu’au début des années 2000, ils n’ont pas pour autant totalement disparu et comptent encore de belles réussites. La dernière en date est Kyôfu (Terreur, 2010) de Hiroshi Takahashi, le scénariste des 3 épisodes de Ring et de Orochi (2008) de Norio Tsuruta (adaptation parfaite d’un manga de Umezu). S’inspirant du roman gothique Le Grand Pan (1884) d’Arthur Machen, Takahashi invente une opération du cerveau ayant le pouvoir de faire voir l’au-delà. Le cobaye devenu une sorte de limace humaine, voit grandir dans son ventre une entité lumineuse capable de relier les vivants aux morts. Cette alliance de Grand-Guignol et de métaphysique prouve que la J-horror, loin d’être une forme figée, porte en elles les germes de sa renaissance.’


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dimanche 20 mars 2011

Bébés requins


Un jour, je les empoisonnerai et je foutrai le feu à la maison.



Ce soir, je jouerai au cadavre pour effrayer mon petit frère.


J'emmène ma petite sœur dans la grange pour lui montrer le fantôme de grand-mère.

samedi 19 mars 2011

Vampir, Cuadecuc de Pere Portabella‭

 

Persistance du vampire


J‬’ai rêvé que je me promenais dans un très vieux château‭… ‬il y avait des cercueils et,‭ ‬dans ces cercueils,‭ ‬des femmes,‭ ‬ni mortes ni vivantes‭…

Vampir Cuadecuc de Pere Portabella‭ (‬1973‭)‬,‭ ‬le plus grand film expérimental vampirique,‭ ‬s'est‭ ‬également construit à l'intérieur d'un autre film,‭ ‬comme le ver se nourri d’un cadavre.‭
En‭ ‬1969,‭ ‬Pere Portabella,‭ ‬un des fondateurs dans les années‭ ‬60‭ ‬de l’école de Barcelone filme le tournage‭ ‬d’El conde Dracula une nouvelle adaptation du roman de Bram Stoker par Jess Franco.‭ ‬Vampir Cuadecuc,‭ ‬tourné en‭ ‬16‭ ‬mm noir et blanc,‭ ‬muet‭ (‬si l’on excepte ses dernières minutes‭)‬,‭ ‬apparaît avant tout comme une version expérimentale du roman de Stoker.‭ ‬Cuadecuc‭ ‬signifie en catalan la queue du ver,‭ ‬cette queue qui,‭ ‬comme le vampire,‭ ‬repousse toujours si on la coupe.‭ ‬Cuadecuc,‭ ‬vampir‭ ‬est‭ ‬le vampire du vampire,‭ ‬le parasite au‭ ‬cœur‭ ‬d’El conde Dracula.
Portabella a réalisé le projet‭ ‬fantasmatique‭ ‬des cinéastes‭ ‬travaillant la reprise d’images‭ ‬:‭ ‬être‭ ‬là au moment du geste inaugural et toucher du doigt l’origine des images.‭ ‬Cuadecuc,‭ ‬vampir
offre le cas singulier d’une copie naissant à l’instant précis de l’exécution de l’original ‭; ‬comme si un‭ «‬ found footage ‭» ‬pouvait être travaillé,‭ ‬non en laboratoire,‭ ‬mais lors du tournage de son film de référence.‭ ‬Cuadecuc,‭ ‬vampir‭ ‬a été‭ ‬impressionné sur une pellicule pour bande-son qui élimine les gris intermédiaires.‭ ‬Avec ses noirs charbonneux et ses blancs‭ «‬ brûlés ‭» ‬qui dévorent l’image,‭ ‬il possède alors le pouvoir d’envoûtement de ces films des origines,‭ ‬presque effacés,‭ ‬parvenus jusqu’à nous à travers plusieurs générations de contretypes.‭ ‬Ses personnages semblent d'ailleurs tous un peu transi,‭ ‬comme ces acteurs du muet sidérés par leur naissance au visible.‭
La photographie‭ ‬cramée‭ ‬de‭ ‬Vampir Cuadecuc,‭ ‬telle une empreinte au pochoir,‭ ‬porte déjà en elle‭ ‬le principe de reproduction.‭ ‬Cette plastique ‬se retrouve aussi bien‭ ‬dans‭ ‬les BD de Guy Peelaert‭ (‬Pravda la survireuse) ‬que‭ ‬dans‭ ‬les sérigraphies solarisées d’Andy Warhol.‭ Comme un test‭ ‬de‭ ‬Rorschach,‭ ‬le film de Franco se plie sur lui-même et nous en observons les taches énigmatiques :‭ ‬notre histoire personnelle des vampires,‭ ‬écrite avec ces ombres,‭ ‬les traces laissées en nous par le roman de Stoker,‭ ‬les films de Murnau,‭ ‬Browning et Fisher.‭






Vampir, Cuadecuc de Pere Portabella passe au Jeu de Paume, dimanche 20 mars à 17 heures, présenté par Jean-Pierre Bouyxou.‭

Le jeu de paume