jeudi 29 juillet 2010

遠方の彼方から. Promenades et rêveries un peu partout dans Tokyo




Il m'arrive tout de même parfois de quitter Golden Gai et Shinjuku.
Pour aller à la Mori Tower de Roppongi, par exemple, qui reste un de mes sites préférés. Veillé par l'araignée « okasan » de Louise Bourgeois, Roppongi Hills est une sorte d'oasis – calme et fraiche - qui surplombe le quartier des boîtes de nuit pour occidentaux – haut lieu de stupre tokyoïte.
Le musée d'art moderne est situé au somment de la tour, le plus haut bâtiment de Tokyo. A la nuit tombée le panorama est magique.
L'an dernier, le musée présentait une rétrospective splendide à l'artiste dissident chinois wei Mei Mei. Cette année, il se consacre à la réinvention de la nature par de jeunes artistes japonais.
Une exposition ludique et spectaculaire qui permet de profiter d'une tempête de neige à Tokyo en plein mois de juillet. Richard Brautigan aurait apprécié.



http://www.mori.art.museum/html/english/contents/sensing_nature/exhibition/index.html

La nature n'est pas qu'exposée à Tokyo, elle parcourt la ville et n'en a jamais été chassée. Tokyo n'est pas qu'une ville de verre et de béton. Ce n'est pas la Los Angeles de Blade Runner (même si l'attachement pour le film me pousse à en retrouver sans cesse des traces dans l'architectures et les écrans géants). Le privilège du voyageur et du touriste (n'ayons pas peur de ce mot lorsqu'on a un guide et une carte dans sa poche), est de se perdre dans la ville, de chercher quelque chose et de trouver autre chose.
Par exemple, essayant de localiser la galerie Parabolica-bis à Yanagibashi (éditrice d'e la magnifique revue Yaso et promotrice de l'œuvre de Trevor Brown) je traverse un petit pont et tombe sur un canal et ses péniches. On se met à rêver, bien sûr, que l'Atalante pourrait accoster parmi les péniches japonaise et que le père Jules viendrait troquer quelques bibelot avant de s'enfoncer dans un très ancien quartier des plaisirs.



Autres plaisir du marcheur : décider de faire un détour et se retrouver comme par magie à l'endroit exacte de sa destination. Je décide d'aller à pieds de Tsukiji à Shiodome et ensuite de me rendre dans l'île futuriste et très kitsch d'Odaiba (où se trouve la réplique de la statue de la liberté).




Je traverse un vieux marché au poisson, puis, après avoir longé des entrepôts, je me prépare à une longue marche le long d'une artère épuisante sous d'immense buildings – image d'un Tokyo un peu inhumain. Lorsque j'aperçois un parc, j'y entre sans hésiter, heureux malgré la pluie de m'évader du béton. Il s'agit du parc magnifiquement préservé de Hama-rikyu, jardin du Shogun Tokoguwa, dont j'ignorais l'existence.







Marchant aux hasard des allées, m'enfonçant dans le sous-bois je me retrouve... devant la baie de Tokyo, en face, exactement, de l'embarcadère pour l'île d'Odaiba . L'île en question ne vaut d'ailleurs que pour la traversée en Ferry ; on a l'impression d'accoster dans une cité de science-fiction dessinée par Alex Raymond.
Mais bien sûr, on est toujours heureux le soir de retrouver Shinjuku et de vérifier que Sandor Krasna avait dit vrai : les chats sont les vrais maîtres de Golden Gai.

mardi 27 juillet 2010

遠方の彼方から. Eni & Chi4, J-Pop à Shinjuku


Une autre petite chanteuse, tendance J-pop rose bombom. Bien sûr, on me dira que c'est surtout la perfection kawaii de Eni qui retient l'attention. Pourtant, elle est également la vraie auteur de ses chansons, ce qui est estimable. Ce qui me touche, et traduit bien l'énergie de la ville et de la jeunesse, est ce volontarisme d'aller chanter devant les portes d'une gare pour annoncer un concert. 
Il y a chez les jeunes chanteurs de Tokyo un mélange de sérieux, de candeur et de foi.
Alors qu'une chape de plomb semble peser sur Paris, Tokyo est encore une ville où l'on rêve.

Le blog de Eni
Le blog de Chi4 aux claviers




遠方の彼方から. Kyôfu de Hiroshi Takahashi au Shinjuku Theater





Première séance de cinéma à Tokyo dans le très agréable Shinjuku Theater.
Par chance, j'ai pu voir un des désormais très rares films d'horreur de l'été : Kyôfu de Hiroshi Takahashi, scénariste des chef-d'oeuvres du genre : les trois volets de Ring, Orochi (Blood) de Norio Tsuruta. C'est d'ailleurs parfois l'univers grotesque de Umezu Kazuo (auteur du manga original de Orochi) que le film évoque, avec ses sordides relations entre mères et filles et l'obsession des cerveaux à vif..
Le film est très beau même si j'avoue n'y avoir presque rien compris. Tout commence par d'atroces expériences sur des cobayes humains... opération du cerveau transformant de jeunes gens en légumes. Ce prologue, en noir et blanc, se révèle un film projeté par un couple dans son salon. Etrange conséquence de l'expérience : une lumière aveuglante qui surexpose l'image. Le phénomène lumineux est surpris par les deux petites filles du couple. Elles en seront marquées à vie. L'une suicidaire, l'autre morte-vivante aux yeux laiteux. La suite est pour moi bien plus obscure : la mère semble posséder le pouvoir de faire saigner sa fille à distance. Un garçon se désagrège sur le sol en matière grumeleuse. Une des cobayes, devenue une ignoble limace cannibale digne des mangas de junji Ito, est enceinte et l'échographie révèle qu'elle porte la lumière dans son ventre. L'expérience aurait donc eu pour but de faire naître cette lueur, pont avec l'au-delà, dans notre monde. L'une des plus belles idées est la reprise du film inaugural enrichi des images des parents et des petites filles. Ainsi le film projeté a aussi le pouvoir d'enregistrer les images de ses spectateurs, d'en conserver la mémoire.








lundi 26 juillet 2010

遠方の彼方から. Rockers à Yoyogi, renards à Ueno




Chris Marker filmait déjà les rockers du parc de Yoyogi dans Sans soleil. Sont-ce les mêmes qui dansent aujourd'hui, rejouant les meilleures poses d'Elvis ou GeneVincent ? Ou leurs enfants, perpétuant la tradition du rockabilly japonais comme on maintient le code d'honneur d'un clan samouraï ? Qui sait, dans 100 ans peut-être, lorsque le dernier rocker aura disparu et sera devenu une légende, un petit temple sera érigé, gardé par des renards à bananes et blousons de cuir.



A Ueno en bordure du parc, un petit temple très sombre et ancien, gardé par des renards au sourire un peu cruel.



Et à Ueno, toujours, une fantastique mer de nénuphars.


samedi 24 juillet 2010

遠方の彼方から. Shibuya




Disney, le plus grand génie du capitalisme, a sans doute rêvé un jour de Shibuya, parc d'attraction immatériel où chacun est son propre personnage.
Ici, on a l'impression qu'une mode peut naître au grand magasin Shibuya 109 pour s'éteindre quelques minutes plus tard devant la statue de Hachiko.
L'effigie du petit chien qui allait attendre même après sa mort son maître à la gare est sans doute l'endroit au monde où l'on est sûr de ne jamais manquer un rendez-vous. On aime Hachiko comme un petit dieu protecteur veillant pour que les amis et les amoureux se retrouvent dans la foule. Hachiko est comme le centre de gravité, d'un ballet incessant de bandes d'écolières en costumes marin, de filles en kimonos roses et violets, toutes blondes car à Shibuya les japonais sont blondes, de fashionistas scintillantes, aux ongles comme des bijoux, à la peau caramel, de jeunes travestis presque imperceptibles, de garçon efflanqués comme des chats sauvages. On peut rester des heures devant le Starbuck Cafe à observer la foule, brassage organique où personne ne se se heurte jamais.
La Terre ne tourne pas sur elle-même, la Terre tourne autour du carrefour de Shibuya.







遠方の彼方から. Concert de The Gazette à Kudanshita


" On lui apprenait que c’étaient maintenant les petites filles qui faisaient et défaisaient les gloires, que les producteurs tremblaient devant elles. " (Chris Marker, Sans soleil)

Sortant du métro Kudanshita, non loin des bouquinistes de Jumbocho, j'aperçois des groupes d'adolescents aux vêtements tous plus délirants les uns que les autres. Cette foule qui remonte la colline se rend au concert de The Gazette, très populaire groupe de Visual Key qui a lieu au Budokan, immense complexe sportif célèbre pour avoir accueilli les Beatles.



Dans les silhouettes androgynes et les chevelures teintes ébourrifées, les vêtements multicolores et les maquillages théâtraux, subsiste quelque chose du kabuki, d'un art tout à la fois débraillé et raffiné.  Les adolescents vivent passionément leur moment "glam rock", juste retour des choses puisque Bowie emprunta énormément au visuel japonais.

Plus tard, au parc d'attraction de Kuraku-en, j'observais de petits fantômes courir dans le brouillard multicolore.

 


jeudi 22 juillet 2010

遠方の彼方から. Chats et lolitas à Akihabara


L'écolière japonaise à l'ère de sa reproduction cybernétique
On peut tout louer à Tokyo, que ce soit une lolita ou un chat pour le temps d'un café. Sur le modèle des bar à hotesses, on choisit son chat et on peut le caresser et jouer avec lui pendant une heure. On peut se demander s'il y a une si grande différence entre les "pets" loués et les jeunes filles costumés qui travaillent dans les bars et qui offrent l'imitation de la soumission à des otakus qui osent à peine les regarder. 
Akihabara ou "electric town" est le grand marché de l'électronique à Tokyo. Mais comme si il fallait satisfaire tous les besoins des fanatiques des ordinateurs, c'est aussi le territoire des Maids café, ces endroits où l'on est servi par des soubrettes aux voix aigrelettes, et du lolicon, le fétichisme des écolières. On traverse d'immenses boutiques roses où sur chaques couvertures, des écolières mangas hurlent de plaisir et de douleur, couvertes de sperme, les vêtements retroussée ou déchirés. Comme toute structure fétichiste la partie vaut pour le tout et l'écolière est impitoyablement anatomisée en uniformes, sous-vêtements, fragments de corps reproduits en instruments masturbatoires. 
Si à Harajuku et Takeshita Street la lolita japonaise est assemblée, c'est à Akihabara qu'elle est désarticulée. Si les otakus sont experts pour démonter et assembler des ordinateurs, en revanche, le mystère des filles leur échappe.










mercredi 21 juillet 2010

遠方の彼方から.Maman à Roppongi



遠方の彼方から. Le parc d'attraction de Hanayashiki à Hasakusa



Les parcs d'attractions ont toujours eu une place privilégiée dans les récits d'épouvantes. Entrer dans un parc d'attraction, c'est toujours prendre le risque de ne jamais en ressortir.
Celui de Hanayashiki à Hasakusa est l'un des plus anciens du Japon puisqu'il a ouvert en 1949.
Ce jour-là, il était presque désert et écrasé de soleil. Les rares visiteurs étaient un groupe de collégiens sages et quelques couples silencieux. Je croisais des employés au regard un peu vide, qui me saluaient peut-être encore plus mécaniquempent qu'à l'accoutumée. Mais le plus souvent, je marchais seul dans les allées entre les statues en plastiques désuettes et les imitations un peu inquiétantes de scènes de Walt Disney. Je quittais le parc avec un étrange sentiment de mélancolie.

mardi 20 juillet 2010

遠方の彼方から. Mikagami à Ikebukuro


Mikagami chante dans la rue à Ikebukuro un folk expérimental. Si l'on montre de l'intéret à ses chansons, elle offre un CD. Une générosité qui est celle de sa performance. "Le japon, entre tradition et modernité", est un cliché même s'il se révèle souvent réel. Parlons plutôt du Japon comme pays de toutes les mutations, où les corps n'en finissent pas de se transformer et proposent les hybridations les plus inouïes. Sans autre pouvoir que sa voix, Mikagami devient une sorcière psychédélique et transforme ce petit coin de Tokyo en terre de feu et de folie.

http://www.myspace.com/mikagami0403




遠方の彼方から. Maria Cross, Drama Queen à East Shinjuku



Quand on parle des Japonais, on ne souligne peut-être pas assez qu'il s'agit d'un peuple profondément drôle avec un sens aigü du burlesque et un art de l'outrance presque sans limite. Le ridicule est-il un concept japonais ?
Lorsqu'on manie le ridicule avec une telle virtuosité, comme le performer Maria Cross, on ne perd jamais la face.

lundi 19 juillet 2010

遠方の彼方から. La nuit à Shinjuku



Sous les néons de Tokyo, il y a aussi une force noire, appelons-la la crise économique, qui progesse patiemment et dévore les plus pauvres. Qui étaient-ils avant ? Salarymen, chauffeurs de taxi, étudiants, caissiers de combini...?



遠方の彼方から. Brumes à Hakone



Hakone, à 90 minutes en train de Tokyo, où l'on peut échapper à la chaleur terrassante de l'été japonais. Dans les montagnes, des arbres-dieux et des temples rouges. On aurait tort de n'y voir que des objets touristiques. On pense plutôt au travail patient et amoureux d'un Shigeru Mizuki, dessinant sans fin ses yokaïs pour ne jamais briser le lien avec les esprits et les divinités du passé.
Et lorsque les brumes tombent du mont Fuji, on se dit qu'ici les dieux sont d'abord des artistes.


samedi 17 juillet 2010

遠方の彼方から. Corbeaux et prédicateurs à Shinjuku


Tokyo est la ville des cobeaux. Massifs, luisants et un peu effrayants, leurs croassements font partie de l'ambiance sonore de la ville, au même titre que le chant des grillons. Sasori, la femme scorpion interprétée par Meiko Kaji pourrait tout aussi bien être une femme corbeau avec son long manteau et son chapeau noir.
Autre élément sonore d'une ville parfois bruyante comme un pachinko géant, les discours des"prédicateurs" devant la foule indifférente, ici à la gare de Shinjuku.
Sur leurs promontoire, au fond, les deux se ressemblent un peu.


遠方の彼方から. Manga Girl à Nakano





Nakano Broadway, immense galerie marchande, qui s'étend sur 3 étages. Ici, circule, se vend, se troque toute la culture pop japonaise. A Nakano Broadway, on se rend compte qu'au Japon Ultraman est bien plus célèbre que le Christ.
A Nakano Broadway, même les personnages de manga travaillent, comme cette princesse galactique un peu défraichie au comptoir d'échange de Mandarake.




lundi 5 juillet 2010

Sans soleil 5 : On lui racontait qu’une femme défigurée

"On lui racontait qu’une femme défigurée ôtait son masque devant les passants,
et les griffait s’ils ne la trouvaient pas belle."

Lorsque Chris Marker tourne Sans soleil, en effet une étrange psychose court à travers le Japon : la femme défigurée (kuchisake onna)

Entre le printemps et l'été 1979, une légende urbaine (toshi densetsu) racontait qu'une femme, la visage dissimulé derrière un masque de chirurgien (accessoire usuel des Japonais contre la pollution et les maladies), demandait aux enfants rentrant de l'école à la nuit tombée : " Est-ce que vous me trouvez belle ? "

Si l'écolier répondait "oui", par politesse, elle ôtait son masque et révélait une bouche fendue comme par un rasoir. " Est-ce que vous me trouvez belle ?" répétait-elle.




Si l'enfant s'enfuyait elle n'avait pas de mal à le rattraper, car l'un des attributs de la femme défigurée est de courir à une vitesse stupéfiante. 
Après s'être saisit de l'enfant, elle lui tailladait le visage avec des ciseaux, en lui disant : " Je te fais ce que la vie m'a fait ! "
En fait, que l'enfant réponde par "oui" ou par "non", l'issue est identique. Le seul moyen d'échapper à la femme défigurée reste de ne jamais la rencontrer.




images : la femme défigurée dans l'adaptation  réalisée en 2007 par Kôji Shiraishi.

jeudi 3 juin 2010

Passage du miroir. Notes sur le clip Thursday's Child (David Bowie)




Ça commence par le chantonnement d'un homme face à son miroir et par une terrible expression d'amertume.



Chantonner pour soi, presque malgré soi, comme pour appeler un être intérieur. 
Déjà le souvenir est au travail.



La chanson qui sort d'un transistor parfois glisse sur les lèvres de l'homme. Mais jamais elle ne s'incarne. 
Le bruit de l'eau qui coule dans le lavabo et une toux viennent même la recouvrir. 
Ces petits sons du réel valent comme une condamnation.
L'envol de la musique est refusé à Bowie, rivé, impitoyablement, à son présent.
Il semble surpris de se retrouver dans ce cadre, cette vie, avec cette femme belle, mais dont il parait soudain lointain.



Le miroir est en soi un faux raccord, où rien n'est tout à fait exact. Qui de moi ou du reflet cherche à percer le mystère de l'autre ? Est-ce moi qui voit mon double rajeuni ou, de l'autre côté du temps, un jeune homme qui contemple le futur ?
Le masque n'est pas celui d'un rockeur extraterrestre, d'un cosmonaute ou d'un clown mais c'est le masque de l'âge et des rides collé à la peau.




L'instant du rajeunissement use d'un vieux trucage de cinéma, une surimpression comme lorsque le crâne vient hanter le visage de Norman à la fin de Psychose.




L'Autre est certes rajeuni mais surtout, les yeux creusés et les joues émaciés. 
C'est une tête de mort.




Une jeune fille apparaît à côté de l'Autre.




Derrière le miroir obscur, ils l'observent comme un couple de vampire. Inquiétants étrangers.





Instant du double où le travelling circulaire transporte l'homme à travers le miroir, et le dépose à côté de la jeune fille. Il se penche vers elle et lui donne un baiser.



L'impossible baiser à travers le temps.



Thursday Child (1999)
Réalisation Walter Stern