mardi 7 décembre 2010

Kathryn Bigelow,‭ ‬existentialiste du cinéma d'action.

Vous voulez quoi comme sensations fortes‭ ?
Devenir un vampire‭ ? ‬Un surfeur braqueur de banque‭ ? ‬
Un démineur en Irak‭ ? ‬Une femme flic‭ ?
Vous voulez‭ ‬connaître l'action-trip de votre vie‭ ?
Tel est le cinéma selon Kathryn Bigelow‭ ‬:‭ ‬un shoot d'adrénaline,‭ ‬qui vous remue profond et vous met les nerfs à vif.‭ ‬Lenny Nero dans‭ ‬Strange Days‭ ‬deale des clips de violences et de sensations que l'on s'injecte directement dans le cortex.‭ ‬Pas du factice hollywoodien,‭ ‬mais du réel,‭ ‬vécu et enregistré par un autre‭ ‬:‭ ‬la vie elle-même.‭ ‬Jusqu'au‭ ‬Death Trip‭ ‬qui,‭ ‬s'il ne vous crame pas le cerveau à jamais,‭ ‬vous coupe l'appétit pour la semaine.‭ ‬James Cameron,‭ ‬coscénariste,‭ ‬s'en souviendra‭ ‬:‭ ‬Avatar‭ ‬est le‭ ‬développement d'une scène de‭ ‬Strange Days où un handicapé retrouve les sensations de la course sur le sable,‭ ‬de la vague contre ses pieds...‭ ‬quant au SQUID‭ ‬-‭ ‬la méduse qu'on se pose sur le crâne et qui diffuse les images‭ ‬-‭ ‬ce sont les lunettes‭ ‬3D,‭ ‬bien sûr.‭
Injection de l'image-action et immersion dans un milieu de pures émotions violentes,‭ ‬tel est le mode de‭ ‬fonctionnement des personnages de Bigelow.‭ ‬Dans‭ ‬Near Dark,‭ ‬le virus du vampirisme substitue à la fragile enveloppe humaine un corps immortel,‭ ‬qui se régénère‭ ‬automatiquement.‭ ‬Mieux qu'un Terminator‭ !
Cet organisme inaltérable est lié à un territoire,‭ ‬celui de la nuit et des vampires.‭ ‬S'il le quitte,‭ ‬le vampire devient plus fragile qu'un être humain et sa peau brûle aux rayons du soleil.‭ ‬Kathryn Bigelow n'a cessé de mettre ses personnages à l'épreuve de l'action.‭ ‬L'invention de ces organismes modifiés par l'adrénaline en font une cinéaste aussi passionnante‭ ‬-‭ ‬et au fond aussi intimiste‭ ‬-‭ ‬qu'un David Cronenberg.‭
Avec‭ ‬Démineurs,‭ ‬Bigelow invente la prothèse parfaite du film d'action‭ ‬:‭ ‬l'armure-scaphandre qui ne fait pas que protéger le démineur. Elle l'isole dans sa bulle d'angoisse et sa jouissance tout de même masochiste.‭ ‬Un peu comme la combinaison des Atrèides de Dune qui recycle les liquides corporels,‭ ‬sauf qu'ici c'est l'adrénaline qui devient l'énergie vitale.‭
S'il quitte son scaphandre,‭ ‬le démineur se retrouve aussi fragile que les vampires de‭ ‬Near Dark.‭ ‬Mais s'il quitte le territoire de guerre,‭ ‬c'est encore pire‭ ‬:‭ ‬il ne devient plus rien.‭ ‬Rentré au pays et retrouvant sa vie de couple,‭ ‬le flip ultime du démineur dépasse le désamorçage d'une bombe en plein‭ ‬cœur de Bagdad.‭ ‬Dans une superette,‭ ‬il s‭'‬arrête,‭ ‬interdit,‭ ‬devant un rayonnage de corn-flakes.‭ ‬Quel est le bon paquet que lui a demandé sa femme‭ ? ‬Comment lui prouver qu'il n'est pas qu'un freak totalement inadapté à la vie civile‭ ? ‬Bien plus terrible que le sol irakien est le terrain miné des relations humaines.
Alors oui,‭ ‬il y a une joie‭ ‬-‭ ‬celle du drogué retrouvant sa dose‭ ‬-‭ ‬dans la reprise du compte à‭ ‬rebours et le retour au monde de la guerre.
L'action qui donne un sens à sa vie,‭ ‬fonde le caractère profondément marginal des héros de Kathryn Bigelow.‭ ‬Dans‭ ‬Point Break,‭ ‬durant la superbe poursuite à pieds,‭ ‬Johnny Utah et son antagoniste Bodhi Salver traversent des pavillons de la banlieue de Los Angeles‭ ; ‬petites vies rangées d'une American Way of Life à laquelle ils n'appartiennent pas.‭ ‬La silhouette noire et masquée que Keanu Reeves poursuit n'est pas un être humain mais un concept‭ ‬:‭ ‬le corps de l'action pure qu'il doit incorporer.‭







Écrit pour le catalogue de la 25e édition du Festival Entreveus de Belfort (27 novembre-5 décembre 2010)

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