lundi 20 avril 2009

Tous les garçons aiment Mandy Lane



L'amour à mort


De Donnie Darko de Richard Kelly à Elephant de Gus Van Sant, en passant par Virgin Suicides de Sofia Coppola, les meilleurs "teen movies" de ces dernières années nous l'ont rappelé : l'adolescence était la période la plus dangereuse de notre vie. Ces cinéastes la représentent à la façon d'un univers hostile, comme le lycée quadrillé par les jeunes tueurs, la maison où agonisent les vierges suicidées ou le monde parallèle où évolue le sombre Donnie. Le déguisement de squelette que porte ce dernier souligne que la mort fait partie intégrante de cette période où toutes les expériences sont primordiales et violentes. Se rangeant immédiatement aux côtés des chefs d'œuvres du genre, le premier film de Jonathan Levine en est la parfaite illustration. Prenant comme décor un ranch texan isolé où rode un psychopathe, Tous les garçons aiment Mandy Lane est un "slasher" sans faute mais surtout une œuvre envoutante et lyrique.


Désirs meurtriers


Dans les années 80, alors que les images violentes étaient rares à la télévision et que les jeux vidéos se limitaient à quelques pixels, les films de psycho-killers représentaient pour les adolescents une expérience singulière et transgressive. Comment expliquer le succès de ces productions, toutes identiques, où des jeunes de leur âge se faisaient décimer par d'invulnérables tueurs masqués ? Quel pouvait bien être l'attrait de ces bandes monotones, pauvrement interprétées et réalisées, n'obéissant qu'à une logique de soustraction meurtrière ? Que leur bêtise et leur mauvais goût ne puissent être récupérés par la "culture" officielle et "adulte" (dont le parangon était alors Télérama) en est sans doute une des raisons. Mais plus profondément, la popularité de ces films prenait racine dans le mariage de scènes de mort explicites (parfois réalisées par des grands maquilleurs comme Tom Savini) et de sexualité trouble. Symbole de ces excès, une scène du Tueur du vendredi (second épisode de Vendredi 13) montrant Jason transpercer avec un éperon un couple faisant l'amour. Même dans Halloween, le prude John Carpenter expose pourtant plus de nudité que dans aucun autre de ses autres films.
Mandy Lane pourrait à première vue relever de ce douteux état esprit. Les scènes de meurtre possèdent le caractère malsain des plus violentes productions de l'époque et les jeunes héroïnes sont peu avares de leur charme. Sorti pendant l'âge d'or du genre, nul doute qu'il en aurait été un classique immédiat. Tout en remplissant le cahier des charges du film de psycho-killer, Jonathan Levine lui apporte pourtant ce dont une cohorte de mauvais cinéastes l'avait privé : la beauté et l'émotion. Le film tire par ailleurs sa singularité de cet antagonisme entre les sentiments romantiques que provoquent l'héroïne et la grande sauvagerie des meurtres. Quels sont les liens unissant le tueur qui décime la petite bande de teenagers et la douce Mandy Lane, incarnation de l'innocence ?



L'été cruel


Jonathan Levine tisse autour de Mandy une ambiance mélancolique, en accord avec le regard toujours un peu triste de l'actrice, Amber Heard. En un plan reminiscent de Donnie Darko, il lui fait traverser au ralenti, comme en apesanteur, les couloirs du lycée. Dès cette apparition irréelle, Mandy est filmée à la façon d'un souvenir, telle l'image fétiche que les adolescents garderont de leurs années de lycée. Ce travail sur le sentiment amoureux rapproche le film de Virgin Suicide et de ses mystérieuses lycéennes blondes, objets de vénération d'un groupe de jeunes garçons. Soustraites par leurs parents aux yeux du monde, les héroïnes du film de Sofia Coppola devinaient encore plus fantasmatiques pour leurs adorateurs. Mandy connait le même destin : vue sans cesse à travers le désir des autres, son mystère restera entier même après les dernières images du film. L'adolescente, n'est pas seulement mythifiée par ses codisciples, elle devient une idole sanglante au pied de laquelle un monstre immole ses victimes.



Les rapports de Mandy et du tueur rappellent l'étrange attraction qu'exerçait sur Michael Meyer Lorie (Jamie Lee Curtis), la virginale héroïne d'Halloween de John Carpenter. Ce qui n'était que suggéré devient plus explicite chez Jonathan Levine. Le cinéaste met en scène les meurtres comme s'ils émanaient de l'esprit de Mandy. Le tueur, comme un doppelganger, représenterait la face sanglante de la vierge immaculée. L'autre vierge écarlate, auquel Levine rend plusieurs fois hommage dans Mandy Lane, est bien sûr Carrie, à la fois ange et démon. Bien que tout chez elle évoque l'innocence, Mandy, comme Carrie White, amène la mort dans la petite communauté adolescente. Le symbole de cette intrusion sournoise du Mal est le serpent qui se glisse silencieusement à ses côtés alors que Mandy se baigne dans un lac avec ses amis. Mandy représente pour les lycéens une sorte de femme absolue mais, tel Eve, elle est aussi la tentatrice qui à jamais les éloigne du paradis de leur enfance.

Le bourreau des cœurs

"Pour moi, relate Jonathan Levine, le lycée a été une expérience terrifiante. Une période très spéciale, nappée d'une douce nostalgie mais gangrénée par la peur, l'insécurité et d'invraisemblables éclairs de méchanceté."



Dès les premières scènes, la méchanceté et la cruauté sont exposée : Emmet, le meilleur ami de Mandy, incite un autre prétendant à sauter du haut d'un toit pour prouver son amour. Le sadisme qui gouverne les relations adolescentes inscrit Mandy Lane dans la lignée de Kids et Bully, les "teen movies" hyperréalistes de Larry Clarck. Le cinéaste n'expurge ni le langage cru des adolescents ni leur usage frénétique des drogues. Cette franchise apporte une réelle épaisseur aux personnages, incomparablement plus vivants que les pantins stéréotypés des années 80. La superficielle Chloe n'est au départ qu'un clone de Paris Hilton, obsédé par son apparence. Pourtant, peu à peu la façade se craquèle et elle se révèle une adolescente paumée en mal d'amour. Chloe ne connait son premier vrai baiser amoureux que pour voir le garçon s'écrouler à ses pieds, abattu par le tueur. Marlin, quant à elle, est sans cesse humiliée par Jake, son petit ami. Avant même qu'elle ne croise la route du tueur, son amour a été dévasté par la méchanceté du garçon. Le visage horriblement tuméfié que découvrira Jake est celui de l'amour qu'il a détruit chez la jeune fille. Le tueur joue ainsi le rôle d'un Cupidon malfaisant qui achève les amours blessées.

Un slasher romantique

Alors que le tueur n'est encore qu'une ombre furtive rodant autour du ranch, le grand week-end défoulatoir des adolescents s'est déjà muée en une soirée sinistre où chacun règle ses comptes. L'alcool et les drogues ont été consommés mais l'enjeu de la fête, posséder la belle Mandy Lane, est à jamais inaccessible. Cette déperdition d'énergie est une des plus belles idées du film : ces ados arrogants et superficiels ne sont finalement que des enfants apeurés, prisonniers d'une maison triste et sombre. L'un des grands talents de Levine est de savoir mélanger les atmosphères, se révélant aussi à l'aise dans le huis-clos que dans de plus amples scènes d'action. Ainsi, la scène de poursuite d'une jeune fille par une voiture, dans un champ aride, entre des bottes de foin, évoque le meilleur du cinéma australien des années 80, tels Next of Kin de Tony Williams ou Razorback de Russel Mulcahy. Le ranch isolé et les champs calcinés où tournent des éoliennes, renvoient quant à eux directement à Massacre à la Tronçonneuse.



Le film de Tobe Hooper va apporter au film la métaphore la plus violente et naturaliste des angoisses adolescentes. Comme la survivante du massacre texan, Mandy suit au pas de course un parcours initiatique qui l'amène sur une terre d'apocalypse. Sur le sentier qui conduit au lac, elle découvre une trace de sang encore frais et ramasse un débris étrange, que l'on suppose être un reste animal ou humain. Il s'agit du premier indice de la contamination de son univers par la mort et la putréfaction. La ballade sauvage de Mandy la fera passer des villas dorées de la jeunesse texane à une fosse où pourrissent des cadavres de bêtes malades.
Jonathan Levine refuse pourtant que la mort ait le dernier mot et termine son film par Sealed by a Kiss, la très belle chanson sixties de Bobby Vinton. Reviennent à cet instant, comme des bouffées de nostalgie, les images des amis disparus, à nouveau réunis dans la même insouciance. Les survivants peuvent alors quitter les lieux du massacre, laissant derrière eux les fantômes de leur adolescence.


Stéphane du Mesnildot



Publié dans L'Ecran fantastique en mai 2008

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